La “fuite des cerveaux” au sport

By | February 27, 2019

Le célèbre roman de Fatou Diome, Le ventre de l’Atlantique, décrit de nombreux thèmes du transnationalisme et de la transcendance nationale par le sport. Dans cette histoire d’un jeune garçon fanatique de football, qui compte sur sa sœur vivant à Strasbourg pour lui raconter des matches qu’il ne peut pas regarder, les relations de la France et de ses anciennes colonies en Afrique subsaharienne sont explorées à travers le grand jeu international de football.

Particulièrement frappante est sa description de la France comme terre promise, de laquelle toutes les bonnes choses arrivent aux yeux des jeunes enfants de sa communauté natale. Ceci est compris, explique-t-elle, en termes de visibilité des footballeurs français et des équipes de football françaises, qui occupent le cœur et l’esprit des jeunes garçons et filles impressionnables. La réalité est qu’après la fin de la colonisation en matière physique et politique, une « sorte de colonisation mentale » persiste : la France reste la grande présence culturelle et médiatique dans les aspects les plus visibles de la vie de ces enfants (53). Dans les termes les plus intéressants et les plus succincts, elle déclare : « les jeunes joueurs vénéraient et vénèrent encore la France. A leurs yeux, tout ce qui est enviable vient de France » (53). Spécifiquement, de leur point de vue, l’argent vient de la France, qui finance les télévisions sur lesquels ils regardent leurs joueurs bien-aimés pendant ces matchs passionnants entre équipes françaises. Ces télés appartiennent à des hommes de leur village qui ont passé du temps en France, qui y ont étudié, qui ont emmené des femmes françaises. Et surtout, les joueurs sénégalais, les paysans les plus vénérés pour ces jeunes, vont vivre et jouer en France, pour les meilleurs clubs locaux et même pour l’équipe nationale française elle-même.

Sa description de cette réalité est bien sûr contrastée tout au long du roman avec des représentations de sa propre relation d’immigré en France, en particulier dans une ville de province en dehors de Paris. Pour moi, cela rappelle également le même type de phénomène selon lequel le talent africain est en quelque sorte usurpé, pris dans son pays d’origine pour se « rapatrier » en France, enrichissant le bassin de culture et de talents français dans ce que l’on appelle communément « la fuite des cerveaux » [brain drain] dans sa manifestation académique et intellectuelle. Il est toutefois intéressant de penser à cela en termes de sport. Quand la France (ou d’autres pays d’Europe) est l’objectif ultime de la démonstration des prouesses sportives, le véritable Eldorado qui attend le plus grand succès parmi les plus rapides, les plus forts et les plus agiles des jeunes joueurs (et joueuses) au sud du Sahara, le plafond de verre est placé sur les résultats sportifs dans ces pays (Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, etc.) Lorsque le lieu du succès idéalisé et du talent est retenu de force en dehors du pays d’origine, la culture des enfants qui cherchent ailleurs est un exemple de ce que le succès signifie en soi, est autorisé à proliférer davantage. Le cycle de la domination postcoloniale (et à certains égards néocoloniale) se perpétue ainsi à travers le sport et les expériences de jeunes garçons comme Madické.

 

Bibliographie

Diome, Fatou. Le ventre de l’Atlantique. Paris: Anne Carrière, 2003.

One thought on “La “fuite des cerveaux” au sport

  1. Anna Egas

    Ce commentaire et le commentaire concernant les académies de football posté par un autre étudiant (https://sites.duke.edu/wcwp/2019/02/27/les-academies-et-linegalite-dans-le-football/) indiquent un certain niveau d’inégalité qui existe dans ce sport. En lisant ces deux commentaires, j’ai pensé à un article que j’avais lu il y a quelque temps. L’article traite de l’émergence d’académies de football dans certaines régions d’Afrique qui cherchent à former de jeunes joueurs afin qu’ils puissent jouer au football universitaire de division 1 aux États-Unis. Des académies comme « Right to Dream » du Ghana servent d’organisations caritatives cherchant à offrir un niveau d’éducation et de formation supérieur aux jeunes. D’une part, ces organismes de bienfaisance offrent de précieuses opportunités aux jeunes en Afrique. Cependant, comme vous le mentionnez dans ce commentaire, ces académies ont d’autres effets qui peuvent exacerber les inégalités existantes entre les pays de l’Afrique et les États-Unis ou l’Europe. Par exemple, certains critiques suggèrent qu’au lieu de créer des organisations externes pour aider les étudiants africains, les efforts visant à améliorer la qualité de vie dans ces pays devraient être axés sur l’amélioration de l’éducation publique. En fin de compte, cet exemple montre que le football fonctionne dans des contextes sociaux, économiques et politiques complexes. La « fuite des cerveaux » des joueurs étrangers qui se rendent en Europe ou aux États-Unis à travers d’académies comme «Right to Dream» contribue aux récits de supériorité occidentale incitant les individus à quitter leur pays d’origine. Beaucoup d’étudiants qui fréquentent ces académies sont comme Madické dans «Le Ventre de L’Atlantique»—souvent, ils ne se rendent compte de la réalité et les difficultés de l’immigration.

    Bibliographie :

    Wooley, Alexander. “The Soccer Academies Preparing African Children for Division I Competition.” The Atlantic, Atlantic Media Company, 22 June 2017, http://www.theatlantic.com/education/archive/2017/06/can-soccer-keep-young-africans-in-school/531279/.

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