Le 16 juillet 1950 est une date sacrée pour les Brésiliens. J’ai grandi en entendant mes grands-parents parler de ce jour-là avec grande douleur et nostalgie. Dans l’après-midi du 16 juillet, 200.000 personnes, un dixième de la population de Rio de Janeiro à l’époque[1], se sont rendues au nouveau stade du Maracanã pour regarder le dernier match de la première Coupe du Monde organisée au Brésil. Le Brésil n’avait besoin que d’un match nul pour sécuriser la coupe. L’ambiance dans le stade était empreinte d’espoir et de triomphe. Cependant, l’impensable s’est passé. Pendant un match beaucoup dramatique et euphorique, L’Uruguay a tourné le jeu et a remporté sa deuxième Coupe du Monde avec un score de 2-1. C’était une des défaites les plus tragiques de l’histoire du football, au point d’avoir reçu un nom connu dans le monde entier : “Maracanaço”.
Mon grand-père Rubens de Cenço dit toujours qu’il n’y avait pas vraiment une séparation entre l’équipe et le reste du pays, comme si c’était la nation brésilienne qui était sur le terrain du Maracanã ce jour-là. Tous les brésiliens ont perdu face à l’Uruguay, pas seulement les joueurs. “C’était un sentiment universel de perte qui dépassait les murs du stade. Le football était notre vie, et chaque personne a ressenti cette perte,” mon grand-père raconte. Une des raisons pour laquelle la défaite était si triste, c’est que 20 ans après le début de la Coupe du Monde, le Brésil serait enfin le champion, prouvant avec un titre ce que beaucoup de gens pensaient : que le meilleur football du monde était le football brésilien. Beaucoup d’historiens comme Carlos Molinari ont même dit que ce serait “la plus grande victoire du Brésil depuis son indépendance en 1822.[2]” Ce rêve s’est évanouie dans quelques minutes.
Le Brésil souffre du SSPT chaque fois qu’il joue avec l’Uruguay, alors que les journalistes et la media évoquent la mémoire du Maracanaço. Beaucoup de fans, comme mon grand-père, croient que le “pays du football” n’oublierait jamais l’humiliation du Maracanaço. « Les gens ne veulent pas oublier. Même les personnes nées il y a dix ans connaissent les années 1950, comme si elles avaient été là-bas[3] », raconte l’écrivain brésilien Sérgio Rodrigues. « Le stade était en silence complet. C’était peut-être le pire bruit que j’ai jamais entendu dans ma vie. C’était un silence qui venait de l’intérieur, apocalyptique. Il semblait que le monde entier s’était arrêté. C’était la première fois à l’âge adulte que j’ai pleuré. »
Les joueurs de l’équipe de 1950, tous déjà morts, ont porté le poids de la défaite pendant toute leurs vies. Dans les mots de Paulo Perdigão « Ce sera toujours comme ça : cet après-midi-là, ces joueurs brésiliens, devant ce public, ont perdu la Coupe du Monde. Le Brésil ne remportera jamais la Coupe de 1950.[4] »
Sources:
[1] https://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=638799
[2] Paulo Perdigão, Anatomia de uma Derrota,(Campo Grande, Brazil: 1986).
[3] Sérgio Rodrigues, O Drible, (Rio de Janeiro: 2013).
[4] Paulo Perdigão, Anatomia de uma Derrota,(Campo Grande, Brazil: 1986).
J’ai trouvé l’histoire de Maracanaço très intéressant dans la mesure où j’ai trouvé de nombreux parallèles avec le football et sa perception en Turquie, mon pays d’origine. Le lien entre le nationalisme et le football est également une réalité en Turquie et les gens sont extrêmement investis émotionnellement. Les Turcs sont toutefois différents en ce sens que, lors des récents matches des équipes nationales, personne n’attend la victoire, car nous ne pouvons même pas qualifier pour la coupe du monde. Par conséquent, il n’y a pas d’historique si triste ou tragique similaire, tel que la défaite entre l’Uruguay et le Brésil. Mais en général les gens se souviennent généralement des pertes malheureuses de leur club respectif. Les émotions profondes des gens associées au football, comme mentionné, sont enracinées dans un nationalisme qui peut se développer grâce à ce sport. Je suis toujours étonné de la force de ce sport pour rassembler les gens. Bien sûr, dans le passé, lors de matchs auxquels j’ai vu au stade, j’ai été témoin de ces émotions exacerbées conduisant à des combats et à des affrontements incessants entre les spectateurs qui ont soutenu les deux équipes différents. En fin de compte, pour beaucoup de gens, le foot n’est pas un sport, c’est une passion ou un style de vie et, dans le cas de l’église de Maradona, une religion.
J’ai vraiment apprécié ce commentaire ! Les commentaires de votre grand-père montrent que le Maracanaço fait désormais partie de la mémoire collective du Brésil et se transmet de génération en génération. L’un des thèmes principaux du livre de Kittleson «The Country of Football» est que le Brésil cherche toujours à s’établir comme le pays du meilleur football, le plus beau football du monde. Kittleson souligne que cela est lié au processus de création d’une identité nationale par le Brésil. Cest précisément pour cette raison que le Maracanaço était bien plus que la simple perte d’un match de football. Je pense que nous pouvons voir comment la pression exercée pour obtenir des performances supérieures a continué à affecter le football brésilien jusqu’à nos jours. Lors de la Coupe du Monde 2014, par exemple, le Brésil a perdu 7-1 contre l’Allemagne en demi-finale. Pire encore, le jeu a été joué une nouvelle fois au Brésil, renforçant ainsi les similitudes avec la finale de 1950 avec l’Uruguay. Comme nous en avons discuté au début de ce cours, le football est un ensemble d’histoires individuelles et collectives. Pour beaucoup de gens, la Coupe du Monde 2014 a rappelé des souvenirs du Maracanaço et d’autres moments sombres du football brésilien.
Je trouve intéressant comment les Brésiliens s’attendent gagner la Coupe du Monde chaque fois qu’ils jouent. Les autres pays ont une attente similaire de leur équipe, mais celle de Brésil me semble presque unique. Ils ont gagné les plus de Coupes du Monde de tous le pays, mais en parlant avec un supporter brésilien on penserait qu’ils ne gagnent jamais. Cet été j’ai regardé le match du Brésil contre la Belgique avec les supporters brésiliens, et l’équipe brésilien a perdu. Ils ont dit que “nous perdons toujours, nous avons l’habitude” qui me semblait un peu étrange parce que leur équipe a réussi beaucoup à la Coupe du Monde. En revanche, un supporter français, qui aussi espère une victoire chaque fois, n’arrêtera pas de parler de leur seule victoire de 1998. Maintenant, il est clair à moi que les brésiliens regrettent les perdes aussi qu’ils fêtent les victoires, parce qu’ils se sont toujours attendus une victoire chaque fois, et ils connaissent si bien le succès.