La place du football féminin dans la presse française

By | April 24, 2018

Comme je l’ai déjà écrit, parmi tous les thèmes abordés ce semestre, celui du football féminin est l’un de ceux qui ont le plus éveillé ma curiosité. En concluant mon blog post précédent (réponse a Pourquoi Under the Lights and in the Dark est le titre parfait sur la place occupée par le football féminin dans les médias de Stephanie Mayle), j’ai voulu savoir si, au-delà des très nombreux articles qui déplorent la situation actuelle, il existait des études récentes sur le sujet.

 

Alice Coffin, spécialiste des media et féministe, s’est vue confier récemment par Les Dégommeuses”, une étude portant sur la couverture médiatique du football féminin dans la presse française. Sous ce nom, on trouve une “association de foot sportive et militante” dont l’objectif est “la promotion du foot féminin et la lutte contre le sexisme, les LGBT-phobies et toutes les discriminations”.

 

L’analyse a porté sur la période du 2 au 25 septembre 2017, pendant laquelle se sont déroulés les trois premières journées de Division 1 féminine et deux matchs internationaux de l’Equipe de France féminine. La journaliste s’est penchée sur tous les articles de dix titres de presse: 3 titres nationaux (dont le quotidien lEquipe, l’hebdomadaire France Foot et le mensuel So Foot) et 7 titres quotidiens régionaux de villes qui disputaient les matchs de Division 1. Elle y a dénombré un total de 1 327 pages traitant du football en général.

 

Les résultats parlent d’eux-mêmes: 28 pages abordent le football féminin, soit  un taux de 2,1%. Si la presse nationale se situe en-dessous de la moyenne (lEquipe, 1,2%; France Foot, 0,9%; So Foot, 0,1%), la presse quotidienne régionale s’en sort mieux avec des taux s’échelonnant entre 6,9% et 2,2%. Au-delà des chiffres, le football féminin occupe quelques lignes, là où le football masculin s’arroge les articles en pleine page et les unes, c’est-à-dire les premières de couverture. Coffin montre un exemple particulièrement révélateur parmi d’autres: le 10 septembre 2017, Le Progrès de Lyon donne les deux tiers de sa première page à l’OL masculin, qui doit jouer le soir même en Ligue 1 contre Guingamp. Or, l’OL féminin, champion d’Europe, qui a gagné 5-0 en division 1 la veille, se voit octroyer un neuvième de la même première page. La comparaison des légendes des photos est encore plus criante: sous la photo masculine, on trouve le nom du joueur, sous la photo féminine, le nom du photographe.

 

Au niveau qualitatif, le traitement des articles est également révélateur. Les articles sur le football féminin peuvent faire la part belle aux hommes – entraineurs, présidents de club, maires de la ville ou autres – faisant leur promotion. Ils en nomment, parfois jusqu’à six (Le Parisien du 22/09) ou huit (La Voix du Nord du 03/09). Ils en citent, là où l’on ne trouve aucune citation des joueuses (Le Parisien du 03/09). Ils les montrent, allant jusqu’à insérer une photographie de l’entraineur, de face, entouré des joueuses, toutes de dos (Le Progrès du 03/09). Cette présence d’hommes dans des articles supposés centrés sur le football féminin se retrouve dès le titre, le sous-titre ou la phrase d’accroche. C’est seulement dans un deuxième temps que les joueuses sont intégrées à l’article. Et celles-ci apparaissent la plupart du temps dans le cadre du groupe, “L’équipe féminine”, “les filles” (Le Parisien du 22/09), sans être individualisées via l’utilisation de leur propre nom. Forcément, cela ne contribue pas à les faire connaitre du grand public.

 

De plus, parler du football féminin, c’est souvent mieux parler du football masculin, qui est là comme la référence dont on ne peut pas se passer. La comparaison entre les équipes masculine et féminine d’un même club est une accroche fréquente (source non nommée dans l’étude). Et, quand le langage lié au football masculin est naturel, ce n’est pas le cas pour le football féminin : on parle des Olympiens, sans les guillemets, et des “Girondines”, avec les guillemets (source non nommée dans l’étude). L’emploi du féminin pose problème. Corinne Diacre, sélectionneur de l’équipe de France féminine, est tour à tour la “sélectionneure” puis “sélectionneuse” dans LEquipe du 15/09, et “la sélectionneur” (sans e) dans La Voix du Nord du 22/09. Sans oublier quelques grossières erreurs d’appellation : le match amical France / Chili de l’équipe nationale féminine se retrouve par erreur dans la section Premier League.

 

Enfin, on note une certaine difficulté à nommer et à montrer les joueuses en tant que sportives. Ainsi, dans l’article sur l’arbitre Bibiana Steinhaus, la référence à  son compagnon est sexiste (La Voix du Nord du 10/09). Les interviews de Corinne Dacre dans LEquipe du 11/09 et Le Parisien du 17/09 sont émaillées de questions sexistes telle “Etes vous fière qu’on reconnaisse l’entraîneur avant la femme?”. Les photos utilisées peuvent l’être également, comme celles qui illustrent l’article du Parisien du 03/09 sur Ami Otaki, l’attaquante japonaise qui vient de rejoindre le Paris FC, considérée comme “l’attraction”. L’auteur de l’étude choisit aussi d’insérer mais sans les mettre en avant certains articles parfaitement neutre de la presse régionale, comme celui de Ouest France du 08/09 sur Solène Durand, gardienne de Guingamp “appelée chez les Bleues”. Par contre, elle en profite pour épingler le sexisme distillé généreusement dans les écrits de So Foot, sans qu’il soit en rapport direct avec le football féminin, sujet de son étude.

 

L’auteur conclut en ajoutant que si les média font, pour l’instant, manifestement preuve de blocages, il en est de même à la Fédération Française de Football. En effet, l’interview de son président, Noël Le Graët, dans LEquipe du 05/09, ne fait aucune mention du football féminin alors que le Mondial féminin se déroulera dans le pays en 2019. Coffin suggère également des pistes à creuser : insérer le football féminin plus systématiquement dans des articles qui traitent du football de façon transversale et suivre l’exemple de certains titres de la presse régionale, relativement bavarde et plus neutre sur le football féminin en raison de sa tradition à mettre en avant les sportifs régionaux en tant que tel. Après la lecture de cette étude édifiante, et même si l’on aurait souhaité une parfaite objectivité de la part de son auteur, on ose espérer que le Mondial de 2019 contribuera à un renouveau nécessaire pour donner toute sa place au football féminin dans la presse française…

 

 

L’étude:

https://www.lesdegommeuses.org/PDF_DOC/FARE_FOOTFEMININ.pdf

 

L’étude reprise dans le Huffington Post:

https://www.huffingtonpost.fr/2017/10/19/cette-etude-sur-le-traitement-mediatique-du-foot-feminin-montre-quil-reste-du-chemin-a-parcourir_a_23248440/

 

Le website des Dégommeuses:

http://www.lesdegommeuses.org/index.html

 

Un peu plus sur Alice Coffin:

http://drexel.edu/coas/academics/departments-centers/psychology/events/details/?eid=18335&iid=51621

 

 

 

 

 

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *