Mardi dernier, le Paris Saint-Germain affrontait le Real Madrid de Zinédine Zidane, double champion d’Europe, en huitième de finale de la Ligue des champions. La presse française s’est énormément concentrée sur ce match depuis qu’il a été annoncé. Dès décembre, elle inspecte tous les matchs des deux équipes, analyse leur composition et leurs tactiques et espère une victoire du PSG. Malheureusement pour elle, malgré un bon début de rencontre du PSG qui prenait l’avantage par un but d’Adrien Rabiot, le Real Madrid l’a emporté grâce à deux buts de Cristiano Ronaldo et un but de Marcelo. Le PSG a maintenant une tâche très difficile à accomplir s’il veut se qualifier pour les quarts, celle de battre le Real Madrid d’au moins deux buts au Parc des Princes dans deux semaines.
On pourrait pensé que lorsqu’un club français affronte un club étranger en coupe d’Europe, tous les Français s’unissent derrière ce club quel que soit celui qu’ils supportent habituellement. En effet, l’identité nationale française est très forte car elle a été forgée par des siècles d’histoire commune et marquée par des moments difficiles comme la révolution française et les deux guerres mondiales qui l’ont renforcée. Cependant, lorsque que Rudi Garcia, l’entraineur de l’Olympique de Marseille, a été interrogé sur le club qu’il aimerait voir gagner lors de cette rencontre, il a répondu : « Quand on est français, on a envie que les clubs français marquent des points, pour l’indice UEFA. Après, quand on est sous les couleurs de l’OM, et que ce soir, dans les forces en présence, il y a le meilleur joueur français de tous les temps, qui est originaire de La Castellane, on ne peut être que pour le Real Madrid, évidemment ». La rivalité entre le PSG et l’OM est considérée comme emblématique en France depuis les années ’80, ce qui contribue à expliquer cette préférence pour une victoire du Real Madrid. D’un autre côté, Rudi Garcia, originaire d’une famille espagnole qui a fui son pays pendant la guerre civile, a passé sa jeunesse en Ile-de-France, la région qui entoure Paris. La réalité est sans doute plus complexe qu’elle n’apparait de prime abord et ses déclarations ne reflètent peut-être pas ses vrais sentiments même si elles véhiculent certainement une image positive en direction des fans marseillais pour gagner leur soutien.
Quoi qu’il en soit, cette situation nous amène à nous poser de nombreuses questions. Lorsqu’un club joue contre des clubs étrangers, va-t-il de soit que toute la nation s’aligne derrière lui? Ou alors peut-on accepter que les identités régionales des fans de chaque club soient plus fortes que l’identité nationale? De plus, maintenant que le PSG est propriété qatarie, que son entraineur est espagnol, et que seulement une fraction de ses joueurs est de nationalité française, les Français se doivent-il de supporter un club aussi cosmopolite face à des équipes étrangères? Selon moi, chacun peut choisir, en temps ordinaires, l’équipe qu’il préfère soutenir même si, à l’occasion d’une coupe internationale où un club atteint les sommets du tableau, une victoire étant bénéfique à la nation, le club en question mérite le soutien entier des supporters de son pays.
Les questions que tu poses sont très intéressantes et montrent bien la complexité de l’identité des fans, de l’origine de leur soutien ou non à une équipe, et la diplomatie dont certains entraîneurs doivent faire preuve parfois. C’est difficile de savoir si Rudi Garcia dit vraiment ce qu’il pense, ou bien s’il dit ça parce qu’il pense que c’est ce qu’il doit dire en tant qu’entraîneur de l’OM. Je crois en fait qu’il s’en tire bien en justifiant sa préférence pour le Real sous prétexte que Zidane est originaire de Marseille. Il évite la logique binaire et simpliste de certains qui voudrait que, en tant que supporter ou entraîneur de l’OM, il ne peut tout simplement pas supporter le PSG, point. Pour beaucoup de supporters marseillais, peu importe que le Real soit entraîné par Zidane, leur préférence va de toute façon à n’importe quelle équipe s’opposant au PSG.
Certains, après la déclaration de Garcia (https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Rudi-garcia-om-interroge-sur-le-match-entre-le-real-et-le-psg-on-ne-peut-etre-que-pour-le-real/875820), adoptent d’ailleurs cette logique anti-PSG très basique sans vraiment y réfléchir (par ailleurs créée dans les années 90 par Bernard Tapie et Canal+ pour des raisons financières). Mais en tant que supportrice de l’OM et originaire du Sud, je pense que, pour beaucoup, elle repose en fait sur des raisons plus complexes. Ce qui rentre en compte et qui est souvent plus profond, c’est une forme de résistance au club de la capitale et par extension à la capitale elle-même qui s’impose partout dans les médias comme le standard culturel français, par opposition à “la province”. La France est un pays hyper centralisé, et comme dans de nombreux autres pays, ou même à l’échelle mondiale, les clichés à l’encontre du Sud ont la vie dure. Les Français sudistes (et d’autres « provinciaux ») sont souvent moqués, ou dépeints comme simplets et paresseux à la télévision, au cinéma et dans les médias, en majorité parisiens. Des présentateurs originaires du Sud comme Jean-Pierre Foucault et Jean-Jacques Bourdin ont d’ailleurs avoué avoir dû neutraliser leur accent, qui était considéré trop prononcé pour la télé ou la radio. Ce mépris affiché pour le Sud et les sudistes se retrouve d’ailleurs dans certains des commentaires de supporters du PSG qui appellent les Marseillais les “boulistes” (en référence à la pétanque) ou les “Sardines”. Bref, s’opposer au PSG au final revient à manifester sa résistance envers ce mépris originaire de la capitale. Si c’était Monaco face au Real, par exemple, je suis sûre que beaucoup plus de supporters marseillais seraient pour Monaco, ou seraient du moins indifférents au résultat.
De l’autre côté, c’est intéressant de lire comment certaines personnes sur le site de L’équipe justifient le fait que tout Français devrait supporter le PSG. Certains disent qu’une victoire du PSG bénéficierait aussi à d’autres clubs, dont l’OM… Mais peut-on vraiment affirmer qu’une victoire du PSG bénéficierait à tout le monde en France ? Peut-être que ça relèverait l’indice UEFA du championnat, et que ça permettrait à plus d’équipes de Ligue 1 de jouer la LDC, qui gagneraient aussi plus d’argent en recevant la prime de qualification et les droits TV. Peut-être aussi que ça donnerait une meilleure image de la Ligue 1 en général face aux autres ligues européennes de niveau plus relevé. Mais de façon générale, ça bénéficierait surtout au club gagnant, le PSG, ce qui est au final logique. Après tout, la prime de victoire leur reviendrait à eux uniquement, sans compter les droits TV des matchs. Peut-être aussi qu’une victoire du PSG attirerait de très bons joueurs, mais ils voudraient surtout jouer au PSG.
Alors peut-être qu’on devrait soutenir le PSG par principe, parce que c’est un club qui représente la France puisqu’il est à Paris. Oui mais c’est un peu plus compliqué que ça. Tout d’abord, on peut avoir envie de s’opposer à la capitale. Ensuite, en quoi les clubs représentent-ils le pays lors des compétitions internationales ? que représente réellement le PSG ? Le club a-t-il une histoire fortement attachée à sa ville ? Est-il représentatif d’idéaux sportifs ? Dire que le PSG est un club moins ancré dans le quotidien des Parisiens et dans l’histoire de Paris que l’OM à Marseille n’est pas une insulte, c’est juste une réalité. D’un point de vue historique, l’OM a 70 ans d’existence supplémentaire face au PSG, qui a été créé en 1970, alors que l’OM a été fondé en 1899. Avant la création artificielle de cette rivalité OM-PSG, les matchs de PSG ne rameutaient pas foule, seulement 15 000 spectateurs assistaient aux rencontres du PSG dans les années 90. De nombreux joueurs emblématiques sont passés par l’OM, et ont contribué à donner au club cette aura historique en gagnant de grandes compétitions et en montrant leur attachement au maillot, qu’ils soient français comme Papin, Deschamps, Blanc, Barthez, Di Meco, ou étrangers (Waddle, Boli, Abedi Pelé…). Depuis plusieurs années, et de façon généralisée, beaucoup moins de joueurs construisent une carrière dans un club sur la longue durée, et le foot est devenu une affaire d’argent principalement. En ligue 1, dû notamment à la différence de budget entre le PSG et les autres clubs, le PSG est l’équipe qui représente le plus ce football business au détriment de l’esprit d’équipe, de l’attachement au maillot, ou à une identité locale. De plus, avec l’achat de Neymar et Mbappé, ils ont récemment montré un mépris des règles instaurées pour assurer un fair-play financier et empêcher un trop grand déséquilibre entre les clubs. Depuis que le PSG domine la Ligue 1, beaucoup de ses supporters ne cessent aussi de rabaisser les autres clubs, alors pourquoi soutenir celui qui se fait un malin plaisir de te mépriser ?
Comme plusieurs auteurs que nous avons étudiés le montrent, tels Kittleson et Farred, la question de représentation est primordiale dans le football, et les contradictions se retrouvent aussi lors de compétitions internationales, comme avec l’équipe d’Argentine lors du mondial 1978. Peut-on supporter son équipe nationale alors que le régime en place bafoue les droits humains et commet des actes de violence, de torture et des assassinats envers ses propres ressortissants ? Bien sûr, ces contradictions en ce qui concerne le PSG ne sont pas les mêmes, mais la question de représentation demeure.