La première auto du rang Ste-Marie

L’historien Réjean Paquin a un temps tenu la chronique L’Auto-Rétro: l’ère de l’automobile dans L’Écho du Nord (publié à St-Jérôme de 1935 à 2014). Dans l’édition du 10 avril, 1985 (p. 52), il y présente la Première auto du Rang Ste-Marie à Saint-Jérôme. Il s’agit d’une Ford 1908, “Touring”, propriété de Pierre Jérôme, qui est également propriétaire des lots 872-873 au terrier des Sulpiciens. L’article est accompagné d’une photo historique de la voiture. L’impression du quotidien est de qualité médiocre, mais le fonds Réjean Paquin à la Société d’histoire de la Rivière-du-Nord en contient une copie plus détaillée de la photo (ainsi que les notes manuscrites prises par l’auteur au cours de ses recherches).

Voiture Ford 1908 de Pierre Jérôme avec (à l’avant) Albert Jérôme, son fils, et sa “blonde” Rosanna Charbonneau (mariés en 1920) et (à l’arrière) Alexandre Charbonneau et Rosanna Jérôme (mariés en 1912). La cinquième personne (en partie dissimulée) à l’arrière n’est pas identifiée dans l’article, mais pourrait être Blanche Jérôme. Collection André Charbonneau.

Ma famille ayant récemment hérité d’une version carte postale de cette photo, j’ai pu retravailler l’image un peu. D’après l’article, la photo date de 1915-1920 et quatre des cinq passagers sont identifiables. La comparaison avec des photos contemporaines*  (cf. tableau ci-bas) et la consultation de Michel Charbonneau (fils d’Alexandre, le 14 janvier 2020) valide l’essentiel de l’information.  Rosanna Charbonneau est clairement à l’avant. On peut raisonnablement croire qu’Albert Jérôme l’accompagne, puisqu’ils se marient en 1920, mais la physionomie de ce dernier m’est par contre inconnue. À l’arrière, les deux passagères sembles être des fille Jérôme, peut-être Rosanna et Blanche (à droite?). L’homme entre les deux est clairement Alexandre Charbonneau, bien qu’il semble un peu plus vieux que dans sa photo de 1920.

Nom 1912 Auto 1919 1920
Alexandre

Charbonneau

Rosanna

Jérôme

Rosanna

Charbonneau

Blanche

Jérôme

Pour déterminer plus précisément l’année à laquelle cette photo a été prise il faudrait davantage de photos d’époque et probablement en apprendre plus sur l’immatriculation de la voiture. Le plus récent ouvrage de Guy Thibault pourra peut-être aussi aider.


* Origine des photos: 1912, mariage d’Alexandre Charbonneau et Rosanna Jérôme; vers 1919 (ou plus tôt), famille Odile Charbonneau; 1919, mariage de Blanche Jérôme et Wilfrid Lalande; et 1920, famille Alexandre Charbonneau. Collection André Charbonneau.

 

Le Terrier: autres leçons

Voici, en vrac, quelques leçons apprises du Terrier de la Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes.

  • Comme toutes les autres resources cadastrales, le Terrier contient plusieurs erreurs de nom, date, notaire ou autres, en plus d’omettre certaines transactions. La superposition des resources permet souvent de résoudre les conflits. Les quittances, inventaires, transactions suivantes, etc. deviennent alors particulièrement importants.
  • L’ensaisinement (au sens de leur enregistrement auprès des Seigneurs) des actes peut parfois avoir lieu plusieurs années (voire décennies) après la signature des actes eux-mêmes. Les Seigneurs n’avaient donc apparemment pas accès à un instantané de l’identité des leurs tenanciers.
  • Sans surprise, les notaires Girouard et Raizenne ont traité un bon nombre de transactions sur les terres de cette seigneurie. Le Terrier est donc un outil essentiel pour tenter de reconstruire leurs greffes.
  • Certains lots ont été transmis par règles de succession de base, sans aucun acte notarié. Le lot 871, par exemple, a changé de main plusieurs fois entre 1814 et 1849, sans laisser aucune trace notariale. Le Terrier, heureusement, offre la séquence de transmissions et quelques explications. En couplant celles-ci à l’information généalogique traditionnelle, on peut alors reconstruire une chaîne de transmission plus ou moins exacte.
  • Les emplacements ne semblent pas intéresser les Seigneurs. Seules les transactions sur de grands pans d’un lot ont été ensaisinées.
  • D’autres suivront certainement.

La Chapelle

Les terres de la côte Sainte-Marie se terminent au chemin qui mène à la Chapelle, située au bord de la Rivière du Nord. Dans ce modeste lieu, la messe fut régulièrement prononcée jusqu’en 1839. Dès 1807 (cf. Gagnier, No 5321, 7 janvier 1807), Dumont permet aux censitaires des Mille-Isles environnant d’utiliser le moulin seigneurial pour y célébrer la messe, plutôt qu’à Ste-Anne-des-Plaines, qui normalement dessert cette communauté. Une partie des habitants de la  Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes se joignent présumément aux célébrations. Cela donne éventuellement lieu au découpage de la paroisse de St-Jérôme partagé par deux Seigneuries. Les sources primaires ou même secondaires sur cette Chapelle m’échappent toutefois. Je dois donc pour l’instant me replier sur ce qui suit:

Ce n’était qu’une simple mission desservie par le Curé de Ste-Anne des Plaines qui venait dire la messe dans une humble chapelle construite sur les bords de la rivière du Nord. […] La mission de La Chapelle connue sous le vocable de St-Jean-Chrysostome, est devenue, en 1834, la paroisse de St-Jérôme et fut desservie par le Curé de Ste-Anne des Plaines jusqu’à l’année 1837, à l’arrivée du premier curé résidant, M. Étienne Blyth. Le petit village de Lachapelle n’avait que comme constructions trois bâtisses : la mission, le presbytère et le comptoir de M. Casimir-Amable Testard de Montigny établi pour la traite des pelleteries avec les Iroquois du lac des Deux-Montagnes qui venaient faire la chasse.

Et aussi:

  • On ignore si des offices religieux ont été célébrés au moulin, mais nous savons que Jean-Baptiste Hardy, colon de la Rivière-du-Nord, fit don d’une parcelle de terrain en 1818 sur laquelle on y bâtit une petite chapelle.
  • L’abbé Pierre Grenier fut ainsi le premier officiant à la Chapelle de 1818 à 1823.
  • Le deuxième officiant fut l’abbé Isidore Poirier ( 1823-1837 ).
  • Le troisième officiant fut le curé Étienne Blyth ( 1837-1840 ). […]Il prodigua son ministère à la Chapelle jusqu’à l’été de 1839. Dès son arrivée, il ouvrit des registres paroissiaux. On dénote un premier baptême, celui d’une petite fille, en date du 23 janvier 1837.
  • La célébration des offices cessa en 1839 lors de l’ouverture de la première église de Saint-Jérôme, sise dans l’actuel parc Labelle.
  • Quelques vestiges calcinés furent découverts lors des fouilles archéologiques de 1996.

La Prairie de Joseph Turgeon

Photo aérienne de la Prairie de Joseph Turgeon en 1950. L’orientation des subdivision du lot contraste clairement avec celle des terres avoisinantes.

La concession des Messieurs de St-Sulpice à Joseph Turgeon, notaire de Terrebonne (et père du patriote Joseph-Ovide Turgeon),  se situe à la limite nord de la côte Ste-Marie. La taille, forme et localisation de ce super lot de 20×24 arpents, qui chevauche deux seigneuries, m’ont longtemps intrigué. L’information à son sujet, par contre, ne court pas les rues.

Mes premières rencontres avec La Prairie de Joseph Turgeon se firent dans des actes notariés de lots limitrophes, à l’extrémité de la côte Ste-Marie. La prairie, par contre, n’apparait pas à la carte du comté de Deux-Montagnes ni au Complément du plan officiel de la paroisse de Saint-Jérôme, comté des Deux-Montagnes, qui m’ont servi de guides pour ces concessions.  Avec le temps, diverses ressources ont éclairé peu à peu le contexte géographique, notamment une carte des territoires agricoles et le travail de Dessureault sur la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes. L’entité demeurait toutefois toujours nébuleuse.

Le terrier de la Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes fournit plus de contexte. Le lot entier, au numéro 920, y est dit avoir été concédé le 3 octobre 1793, bien que l’acte devant le notaire Louis Chaboillez n’ait été passé que que le 28 février 1806. Joseph Turgeon a entre temps subdivisé le super lot et l’a revendu en lots de tailles plus communes (en 1801 devant le notaire Jacques Default), incluant une promesse de rente envers Turgeon.  Les sous-lots sont alors désignés de A à E, tels que notés au plan de Louis Guy.

Limite nord de la côte Ste-Marie (lots 840-910) et la prairie de Joseph Turgeon (A-E), tels que représentés au plan de Louis Guy. L’orientation de la carte correspond à celle-ci. Notez l’inversion horizontale des inscriptions.

Le terrier explique ce qu’il est ensuite advenu de ces terres.

En conséquence de l’accord entre le Séminaire et les Seigneurs des Mille-Isles, en date du 19 septembre 1834 (Nre Lacombe) il a été tiré en 1835 un nouveau cordon qui coupe une partie des terres de la Rivière du Nord et de la côte St-Nicolas. Pour éviter aux censitaires la difficulté de payer à deux Seigneurs, les terres ont été partagées entre les Seigneurs, de manière que toutes celles lavées en jaune sur le plan, payeront en entier aux Seigneurs des Mille-Isles et toutes celles lavées en bleu sur le plan, payeront en entier au Séminaire. Voyez le partage fait le 30 octobre 1837 (Nre Lacombe).

Clairement, cet échange vise à résoudre les derniers aspects du conflit centenaire entre les Seigneurs de la région*.  Le greffe de Lacombe n’étant pas numérisé, les détails des ces arrangements et l’identification du plan concerné restent à explorer. Cela dit, plusieurs autres questions persistent. In particulier, pourquoi Joseph Turgeon se fait-il concéder une si grande étendue, si tôt dans la colonisation de la seigneurie? L’association seigneuriale des prairies était-elle volontairement précaire? Sinon, comment expliquer leur étrange découpage? D’un point de vue plus écologique, pourquoi ces terres étaient-elles en prairie avant même leur colonisation?

* G. Lalande, Une Histoire de bornage qui dure près d’un siècle, Cahiers d’histoire de Deux-Montagnes, 3(4), 1-26 (1980).

Fin de la Côte Ste-Marie

Le bout de la côte Ste-Marie, là où la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes prend fin et celle des Mille-Isles commence, m’a toujours semblé mystérieux. Non seulement s’y trouvent la prairie de Joseph Turgeon (à l’histoire complexe) et (le chemin de) la Chapelle, mais l’organisation même des terres proprement concédées est source de confusion. Les terres de la fin de la côte sont bordés de deux grandes lignes seigneuriales qui s’entrecoupent à angle obtus, ce qui donne lieu à des lots de forme irrégulière. Ces lots ont par ailleurs été subdivisés, et les actes qui en décrivent le processus offrent peu de précision, quand ils ne sont pas simplement manquant. Bien que le terrier des Sulpiciens n’ait que principalement confirmé l’information déjà en main à propos des ces lots, j’en ai néanmoins obtenu une confiance accrue, ce qui m’a permis d’oser tester quelques hypothèses cadastrales.

Concessions de l’extrémité nord de la côte Ste-Marie. Chaque concession originale (nombre encerclé) est d’une couleur différente. Le médaillon 910 sur le lot vert est donc une erreur du plan.

Après plusieurs essais et vérifications, j’en suis venu à la conclusion que le problème principal est le Complément du plan officiel de la paroisse de Saint-Jérôme, comté des Deux-Montagnes et la liste de propriétaires qui l’accompagne. La concession 910 n’est pas simplement l’entièreté est de la côte au delà du Lot 909, tel que le suggère le plan officiel, mais n’est que six arpents de large. Initialement, les concessions du côté ouest, les Lots 875, 876 et 877, terminent donc aussi le côté est de la côte. Ce n’est qu’au cours du temps que ces lots ont été subdivisés plus nettement de part et d’autre du chemin du roi. (Le fait que le chemin de base de la côte Ste-Marie n’était peut-être pas complet au moment de la concession des terres ne facilite pas la distinction entre l’ouest et l’est de la côte au moment de la concession.) Au surplus, le document manuscrit qui accompagne ce plan n’indique pas correctement les propriétaires des lots 909 et 910. Cette erreur est d’autant plus choquante que le reste de l’énumération semble bien faite.

Cette interprétation des concessions clarifie de beaucoup la relation entre les terres du bout de la côte et celles de la prairie de Joseph Turgeon. L’organisation de cette dernière sera d’ailleurs le sujet d’une entrée ultérieure.

Terrier de la Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes

Les archives des sulpiciens contiennent deux pièces centrales à la reconstruction des cadastres historiques: les terrier et les livres de rentes constituées.

Page titre du terrier de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes. Collection de l’Univers culturel de Saint-Sulpice.

Tranche du livre des rentes constituées pour la paroisse de Sainte-Scholastique. Collection de l’Univers culturel de Saint-Sulpice.
Il existe deux terriers de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes: l’ancien terrier, qui ne couvre que les premières années des premières concession, et le terrier même qui couvre au delà de 10 fois plus de matériel. Chaque concession y a sa page. Certaines pages documentent la chaîne de titres de la concession jusqu’à l’élimination du régime seigneurial, avec exceptionnellement un diagramme illustrant la subdivision de la terre. D’autres sont plus avares d’information. Malgré ses lacunes, la ressource est phénoménale. La reconstruction du cadastre historique est alors grandement facilitée; la reconstruction des greffes des notaires Raizenne et Girouard de St-Benoît, qui ont toutes deux disparu dans un incendie, peut elle aussi faire un grand bond.

Les livres de rentes constituées sont physiquement plus imposants que les terriers, mais moins riches en information. Chaque page traite d’un lot au cadastre de 1861, mais elles sont presque entièrement  vides. Ces livres offrent néanmoins les noms de plusieurs propriétaires du début du 20e siècle. Puisqu’avec l’expropriation des terres pour Mirabel, les bureaux d’enregistrement ont perdu les chaînes de titres post-seigneuriales attribuables à chaque lot, cette information est particulièrement précieuse.

Univers culturel de Saint-Sulpice

Hier, j’ai finalement eu la chance de visiter le service d’archives du l’Univers culturel de Saint-Sulpice. La salle de consultation est située au sous-sol du vieux séminaire de Saint-Sulpice, un immeuble patrimonial en plein coeur du Vieux-Montréal, ce qui est en soit une jolie expérience.

Il faut réserver quelques jours à l’avance et payer 35$ pour visiter, ce qui correspond plus ou moins au coût d’abonnement annuel à une société d’histoire régionale. Par contre, il n’y a pas de frais pour photographier les documents. Au surplus, l’équipe d’archivistes est sympathique, professionnelle et aidante. Cette assistance est particulièrement importante, sachant qu’il n’est pas possible d’accéder la base de données archivistique (sur archi-log) de l’extérieur du centre d’archives.

Avec relativement peu de documents numérisés et des descriptions de fonds encore incomplètes, la valorisation de ces riches collections est pleine de potentiel.

Concessions aux vétérans de la guerre de 1812-1815

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) maintient une base de données des demandes de terres du Bas-Canada de 1764 à 1841. Les originaux ont également été numérisés, quoiqu’en trouver le contenu n’est pas nécessairement des plus simples, puisque la description des microfilms est loin d’être complète.

Une fois la référence extraite, identifier les protagonistes n’est pas nécessairement des plus évidents.

Une piste est que certaines de ces demandes proviennent d’anciens officiers de la guerre de 1812-1815, dont la liste a été indépendamment compilée. (On retrouve, entre autres, dans cette dernière quelques notables de Rivière-du-Chêne, p. 176, et de Ste-Thérèse, p. 180.) Par exemple, en 1823 une partie du Premier Bataillon de Boucherville (p. 188 dont un certain Jean Baptiste Charbonneau) fait une demande conjointe de terres dans le township de Roxton (microfilm C-2493, image 631, p. 903-904).

À titre de contre exemple, ce qui relie les soldats (privates, dont un certain Jean Baptiste Charbonneau) à leur requête de terres dans le township de Lingwick en 1824 (microfilm C-2493, image 680, p. 999-1000) demeure  mystérieux. La liste globale des vétérans maintenue par BAC ne semble d’ailleurs pas être harmonisée avec cette source d’information. Les demandes des divers Jean Baptiste Charbonneau ne s’y retrouvent en effet pas.

Parc Charbonneau

Le parc Charbonneau de Boisbriand est présumémement nommé en l’honneur des premiers colons de la Grande-Côte. Si c’est bien le cas, par contre, l’information à ce propos se fait plutôt rare…

Parc Charbonneau
Enseigne du parc Charbonneau à Boisbriand, mai 2019.

Terrier des Sulpiciens

L’un de mes prochains projets est de valider et de compléter mes chaînes de titres de la côte Ste-Marie et des environs de Belle-Rivière à l’aide du Livre Terrier de la Seigneurie du Lac des Deux-Montagnes. J’ai récemment appris qu’il existe deux copies de ce livre terrier (l’une serait une transcription du 19e siècle), mais ni l’une ni l’autre n’a été microfilmée. Pour les consulter, il suffit de prendre rendez-vous une semaine ou deux à l’avance pour visiter le département des archives de l’Univers culturel de Saint-Sulpice. Visite prévue à la mi-décembre.