La Prairie de Joseph Turgeon

Photo aérienne de la Prairie de Joseph Turgeon en 1950. L’orientation des subdivision du lot contraste clairement avec celle des terres avoisinantes.

La concession des Messieurs de St-Sulpice à Joseph Turgeon, notaire de Terrebonne (et père du patriote Joseph-Ovide Turgeon),  se situe à la limite nord de la côte Ste-Marie. La taille, forme et localisation de ce super lot de 20×24 arpents, qui chevauche deux seigneuries, m’ont longtemps intrigué. L’information à son sujet, par contre, ne court pas les rues.

Mes premières rencontres avec La Prairie de Joseph Turgeon se firent dans des actes notariés de lots limitrophes, à l’extrémité de la côte Ste-Marie. La prairie, par contre, n’apparait pas à la carte du comté de Deux-Montagnes ni au Complément du plan officiel de la paroisse de Saint-Jérôme, comté des Deux-Montagnes, qui m’ont servi de guides pour ces concessions.  Avec le temps, diverses ressources ont éclairé peu à peu le contexte géographique, notamment une carte des territoires agricoles et le travail de Dessureault sur la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes. L’entité demeurait toutefois toujours nébuleuse.

Le terrier de la Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes fournit plus de contexte. Le lot entier, au numéro 920, y est dit avoir été concédé le 3 octobre 1793, bien que l’acte devant le notaire Louis Chaboillez n’ait été passé que que le 28 février 1806. Joseph Turgeon a entre temps subdivisé le super lot et l’a revendu en lots de tailles plus communes (en 1801 devant le notaire Jacques Default), incluant une promesse de rente envers Turgeon.  Les sous-lots sont alors désignés de A à E, tels que notés au plan de Louis Guy.

Limite nord de la côte Ste-Marie (lots 840-910) et la prairie de Joseph Turgeon (A-E), tels que représentés au plan de Louis Guy. L’orientation de la carte correspond à celle-ci. Notez l’inversion horizontale des inscriptions.

Le terrier explique ce qu’il est ensuite advenu de ces terres.

En conséquence de l’accord entre le Séminaire et les Seigneurs des Mille-Isles, en date du 19 septembre 1834 (Nre Lacombe) il a été tiré en 1835 un nouveau cordon qui coupe une partie des terres de la Rivière du Nord et de la côte St-Nicolas. Pour éviter aux censitaires la difficulté de payer à deux Seigneurs, les terres ont été partagées entre les Seigneurs, de manière que toutes celles lavées en jaune sur le plan, payeront en entier aux Seigneurs des Mille-Isles et toutes celles lavées en bleu sur le plan, payeront en entier au Séminaire. Voyez le partage fait le 30 octobre 1837 (Nre Lacombe).

Clairement, cet échange vise à résoudre les derniers aspects du conflit centenaire entre les Seigneurs de la région*.  Le greffe de Lacombe n’étant pas numérisé, les détails des ces arrangements et l’identification du plan concerné restent à explorer. Cela dit, plusieurs autres questions persistent. In particulier, pourquoi Joseph Turgeon se fait-il concéder une si grande étendue, si tôt dans la colonisation de la seigneurie? L’association seigneuriale des prairies était-elle volontairement précaire? Sinon, comment expliquer leur étrange découpage? D’un point de vue plus écologique, pourquoi ces terres étaient-elles en prairie avant même leur colonisation?

* G. Lalande, Une Histoire de bornage qui dure près d’un siècle, Cahiers d’histoire de Deux-Montagnes, 3(4), 1-26 (1980).

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