Retracer l’histoire des édifices du Caire khédivial, ou simplement les identifier, est souvent une gageure. Ce n’est pas faute d’études sur le sujet : depuis les années 1990, des travaux universitaires en Égypte même s’intéressent en nombre croissant à cet âge de la ville et aux transitions qu’il incarne et annonce à la fois. Mais leur documentation est principalement tributaire des sources archéologiques et tout ce qui n’a pas survécu jusqu’à nous ne possède tout simplement pas d’existence dans la bibliographie consacrée à l’histoire architecturale et urbaine du Caire tardo-ottoman.
Fig. 1. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b531201817.r=Le%20Caire%20photographies?rk=1480694;0
Le sébil de la rue Abbassieh, selon la légende attachée à la photographie qui le représente, est dans ce cas. En confrontant l’image à la cartographie historique, on comprend qu’il s’agit du Sabil al-khazindar qui donne son nom à la rue qui borde l’un de ses cotés, en son intersection avec l’actuelle rue al-Gaysh. De brèves mentions peuvent être trouvées à son sujet dans les notes de topographie et d’histoire anecdotique du Caire réunies par Max Karkégi. On apprend par une coupure de presse non datée que l’ensemble comprenait à la fois un sabil, une mosquée et une école, et avait été fondé par un esclave affranchi du khédive Saïd qui avait été en charge des finances. D’après l’érudit Hassan Abdel-Wahhab, grand connaisseur des monuments du Caire, la construction daterait de 1311 H./1893 ; de fait son style correspond bien à la renaissance mamelouke de l’architecture cairote sous le règne d’Abbas Hilmi II. Cela correspondrait à un projet tardif dans la vie de l’affranchi, si ce dernier a bien exercé durant les années 1860. Techniquement parlant, l’édifice date des tout premiers débuts du tout-à-l’égout et pouvait aisément bénéficier de ses canalisations à l’emplacement choisi. On ignore si ce fut le cas.
Fig. 2. Collection Karkégi [Coupure de presse non datée].
Une autre information recueillie oralement date de 1952 la destruction du sabil al-Khazindar. L’immeuble qui remplace la fondation aurait été construit en 1953 et s’appelle de fait ‘Imara al-sabil ; son angle respecte la courbe de la rotonde de l’ancien sabil. La mémoire en est ainsi doublement conservée.
Des sabils continueront à être construits au Caire, en particulier dans la Cité des morts, au moins jusqu’en 1315 H/1897 (Mustafa Barakat Muhsin, 1991, p. 50-82, qui en donne les inscriptions turques avec leur traduction en arabe), mais sans être accolés à des écoles et moins encore à des lieux de culte. On sait encore que Boghos Nubar fit ériger en 1908 un sabil alimenté en eau courante en face de la mosquée de Sayyida Zaynab. Toutes les fontaines du Caire furent progressivement raccordées au réseau d’adduction d’eau. Elles demeurèrent en usage jusqu’en 1931, date à laquelle un arrêté du ministère de l’Intérieur stipula leur fermeture en cas de non-respect de l’obligation d’installer « un système de jets faisant jaillir l’eau de bas en haut » ; à défaut leurs installations contribuaient à propager des maladies et constituaient « un sérieux danger pour la santé publique » (Journal officiel du gouvernement égyptien, 1931, nº 61, p. 1). Peu de sabils furent équipés du système voulu et furent progressivement désaffectés. Il est cependant remarquable qu’un type architectural et fonctionnel si caractéristique du Caire historique ait survécu aussi longtemps.
Références :
« Arrêté du ministère de l’Intérieur relatif aux sabils en date du 31 mai 1931 », Journal officiel du gouvernement égyptien, 1931, nº 61, p. 1.
Bibliothèque nationale de France, Département Estampes et photographie, EI-182
Mustafa Barakat Muhsin, Al-nuqush al-kitabiyya ‘ala ‘ama’ir madinat al-Qahira fi al-qarn al-tisa’ ‘achir [Les inscriptions sculptées sur les édifices du Caire au dix-neuvième siècle], Thèse de doctorat, Université du Caire, 1991.
(M.V.)
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