Le premier album de coupures de presse établi par Max Karkégi pour ses recherches sur Le Caire ouvre sur une vue aérienne tirée de L’Illustration du 1er mars 1924. La datation (« v. 1902 ») est erronée et l’image est tronquée : si elle a bien été prise par le capitaine Eduard Spelterini (1852-1931) au cours d’un voyage en ballon à 500 m d’altitude, la vue originale révèle non seulement le faubourg très peuplé de Bulaq, mais aussi une île de Zamalek à peu près dénuée de constructions en 1904, à quelques exceptions près (dont le palais de Gazira). Il n’est jamais inutile de se reporter à la source première d’une information !
Eduard Spelterini, [Le Caire vu en ballon à 500m d’altitude], 1904 (Berne, Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale suisse, EAD-WEHR-32043-B) https://www.helveticarchives.ch/detail.aspx?ID=162814
On mesure la transformation apportée en peu d’années par l’ouverture du pont de Bulaq avec une vue, prise cette fois depuis un Zeppelin le 11 avril 1931.
Luftschiffbau Zeppelin, [Zamalek vue du ciel], 11 avril 1931 (Zurich, Bibliothèque de l’École polytechnique, Archive de la construction, Ans_05406-04-007)
L’expansion de l’aviation, à la suite de son invention en 1903 en Europe, ouvre la voie à d’autres photographies aériennes du Caire. L’opérateur Arnold Heim survole Le Caire avec Walter Mittelholzer et René Gouzy en décembre 1926. Marcel Clerget se sert de vues de la Royal Air Force pour produire sa somme sur Le Caire publiée en 1934 (Le Caire: Étude de géographie urbaine et d’histoire économique, 2 volumes).
De fait, la capitale égyptienne est arrivée très tôt dans les radars de l’aviation, le circuit amateur tout d’abord. 3 mois à peine après la création d’une semaine aéronautique à Reims (France), une autre se tient au Caire, du 6 au 13 février 1910, à des fins de marketing urbain : la vente des terrains à bâtir d’Héliopolis, tout juste viabilisé. Les pionniers internationaux du genre convergent vers Le Caire, avec leurs engins volants transportés par paquebot. Pour l’occasion, un Aéro Club est créé sur le modèle de l’Automobile Club. L’évènement suscite d’intenses discussions dans la presse égyptienne entre ceux que ravit la conquête de l’espace aérien et ceux qui en redoutent les effets (Gary Leiser, « The First Flight Above Egypt : The Great Week of Aviation at Heliopolis, 1910 », Journal of the Royal Asiatic Society 20, (July 1910) : 267-294). Son impact urbanistique est plus difficile à mesurer, mais il détermine en revanche la localisation des pistes qui voient arriver le 20 novembre 1913 le premier vol transméditerranéen, parti de Nancy. Pendant des décennies les lignes commerciales reliant l’Égypte à l’Europe atterriront à Héliopolis, dont l’aéroport a été ensuite rebaptisé Almaza, puis cédé à l’aviation militaire lorsqu’a été construit à partir de 1950 l’aéroport international du Caire.
L’aviation n’a pas seulement bouleversé la vitesse de circulation des biens et des personnes à travers le globe, elle a transformé la façon de voir les métropoles et imprimé sa marque sur leur espace bâti. Le Caire n’échappe pas à la règle et représente même un maillon majeur dans la conquête du ciel.
Gary Leiser, « The First Flight Above Egypt : The Great Week of Aviation at Heliopolis, 1910 », Journal of the Royal Asiatic Society, 20, (July 1910) : 267-294.
(M.V.)
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