Datée de 1704, la manẓara du cheikh Muḥammad al-ʿAbbāsī al-Mahdī (1827-1897), qui fut moufti ḥanafī en Egypte entre 1848 et la date de son décès quasi sans discontinuer à quelques exceptions près (Peters, 1994), ainsi que cheikh d’al-Azhar, fut une des attractions les plus courues du Caire en son temps. Nombre d’artistes-voyageurs ont peint ou photographié les intérieurs de cette salle de réception, à l’instar du Suisse Théodore Zeerleder (dès 1848), des Britanniques Frank Dillon, James Wild, Richard Phené Spiers, Frank Mason Good, du Bavarois Franz Lenbach, ou encore du Tchèque Frantisek Schmoranz, pour n’en citer que quelques-uns. (Fig.1)
Fig. 1. Anonyme, Un artiste au travail dans la manẓara du cheikh al-Mahdī (Isabella Stewart Gardner’s travel albums, Egypt, 1874, The Isabelle Stewart Gardner Museum, Boston)
Il est vrai que la salle se trouvait littéralement à deux pas de l’Hôtel du Nil, auberge préférée des artistes, et en bordure du Khalig, au pittoresque également prisé. Elle n’était en outre pas utilisée par son propriétaire, car disait-on, ce dernier avait à sa disposition un « autre salon bien plus beau » (Rhoné, 1882, p. 35). L’allusion fait référence aux nouveaux quartiers résidentiels que le cheikh fit construire après 1850 au sud de l’ancienne manẓara de longue date passablement ruinée, qui finit par disparaître lors du percement de la rue al-Azhar dans les années 1920, mais dont il avait refusé avec force le démantèlement lorsqu’un musée lui en avait proposé l’acquisition au début des années 1890 (Volait, 2021, p. 119-120).
Ce nouvel ensemble se disloqua progressivement à son tour. Des restes de la partie haramlik étaient encore visitables dans les années 1980 ; sa pièce centrale était typiquement décorée d’un plafond à motif étoilé, aux compartiments agrémentés de plissés (fig. 2), dont un exemple similaire se trouve au salamlik Munastirli (pointe sud de l’île de Rawda), une construction à peu près contemporaine (Volait, 1987, p. 86-87).
Fig. 2. Plafond de la pièce centrale du haramlik du cheikh al-Mahdī, années 1980 (cliché Mercedes Volait)
L’édition critique, par Abd El Fattah, de trois actes (le premier daté de 1850, le second de 1870, le dernier non daté) relatifs à la nouvelle résidence du cheikh al-Mahdī permet d’en savoir plus sur son histoire et sa nature. L’ensemble fut principalement édifié entre 1861 et 1867, de part et d’autre du Khalig, grâce à la création d’un nouveau pont. Il était de taille notable, puisque la suite de bâtiments qui le composaient se développait sur près de 5500 m2. Les documents précisent les standards de distribution des fonctions (deux corps de bâtiments principaux et de nombreuses annexes), de confort (salles d’eau et cabinets) et de décor (alla turca – qualifié de style rūmī al-turkī) applicables à des habitations de cette importance (Abd El Fattah, 2023). Les documents spécifient le vocabulaire architectural alors en usage, et les matériaux employés (dont le fer). Ils donnent au passage une idée de la fortune foncière et immobilière que pouvaient accumuler les grands commis de l’appareil de gouvernement égyptien. En l’espèce, le cheikh al-Mahdī alla jusqu’à posséder 15 immeubles de rapport au Caire, à Alexandrie, et à Tanta, ainsi que de riches terres agricoles, dont une pépinière de 673 pieds de labakh (Albizzia lebbeck, bois foncé d’origine indienne recherché pour la tournerie) et de sanṭ (acacia nilotique, à fonction de combustible), soit des cultures fortement encouragées par l’autorité régnante en mal de développement industriel dans un pays dénué de forêts.
Bibliographie :
Rudolph Peters, « Muḥammad al-ʿAbbāsī al-Mahdī (d. 1897), Grand Muftī of Egypt, and His “al-Fatāwā al-Mahdiyya », Islamic Law and Society I, n° 1, 1994, 66-82
Abd El Wahab Abd El Fattah, « Masākin kibār rijāl al-dīn fī miṣr al-qarn al-tāsiʿ ʿashar : sarāy al-shayḫ Muḥammad al-ʿAbbāsī al-Mahdī unmūḏajan », Annales islamologiques 57 (2023), 343-448 : https://www.ifao.egnet.net/anisl/57/13
Arthur Rhoné, Coup d’oeil sur l’état du Caire ancien et moderne, Paris : Quantin, 1882
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10540830j/f51.item
Mercedes Volait, « Grandes demeures du Caire au siècle passé », Les Cahiers de la recherche architecturale 20/21, 1987, 84-93
https://www.academia.edu/3511951/Grandes_demeures_du_Caire_au_si%C3%A8cle_pass%C3%A9
(M.V.)
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