Dans son numéro 666 du 24 Jumada II 1293/16 juillet 1876, al-Waqāʾiʿ al-Miṣriyya se livre à un vibrant plaidoyer en faveur des vertus corporelles et spirituelles du thermalisme tel qu’il s’incarne dans le tout nouvel établissement des bains, édifié à Helwan à partir de 1869, au titre des œuvres caritatives du khédive Ismail. Cette défense pro domo d’une des dernières fondations du souverain avant l’effondrement de ses finances peut surprendre qui est plus familière ou familier de la contribution médicale allemande au protocole des soins prodigués dans ses maisons de cure ou de la forme régulière de son paysage urbain induite par un plan en damier. (Fig. 1)
Fig. 1. Carte de Helwan au 1/30000ème, établie par G. Schweinfurth, 1895-1896
Comme à Ismailiyya, le nouveau faubourg du Caire, les candidats désireux d’y bâtir leur habitation recevaient une concession de terrain qui se transformait en véritable titre de propriété une fois la maison achevée ; les matériaux de construction leur étaient en sus fournis gracieusement. Des conditions aussi favorables résultaient également des difficultés d’accès. Atteindre Helwan en transport public prenait en effet des heures : depuis Le Caire, il fallait d’abord traverser le Nil pour se rendre à Bulaq al-Dakrur, puis prendre le train pour Badrashein (deux liaisons par jour), avant de retraverser le fleuve en barge, et emprunter ensuite un véhicule à traction hippomobile pour rejoindre la petite agglomération installée au pied de la chaine du Mukattam (WM, n° 644, 13 février 1876).
La station thermale connut un moment de succès. Une liaison ferroviaire directe, inaugurée en 1887, la mit à 30 mn de Bab-al-Luq. Au tournant du siècle, les Européens vinrent en nombre y soigner leur tuberculose, leurs rhumatismes, leurs maladies nerveuses, ou leur syphilis, tandis que les Cairotes en mal de bon air et d’absolue tranquillité s’y installaient en nombre croissant. On peut relever dans les annuaires des dizaines de noms de négociants, de retraités de la fonction publique ou de l’armée, de propriétaires fonciers, de rentiers, sans oublier quelques membres de la famille régnante (The Egyptian directory, p. 799-804). Une enquête fouillée dans les archives permet d’en savoir plus sur leur identité et leur installation (Nigm, 2006). La résidence qu’y avait Muḥammad Waḥīd bey, propriétaire du journal libéral Al-Aḥrār créé en 1908 (Jara’id), a été photographiée (Fig. 2). 8 000 personnes au total vivent à Helwan en 1907. On est curieux de savoir comment ce petit monde si disparate (patients, personnel soignant, clergé, habitants permanents, commerçants, domestiques) cohabitait en milieu urbain isolé, entouré de désert. À distance probablement, à quelques exceptions près.
Fig.2: La résidence à Helwan de Muḥammad Waḥīd bey, propriétaire du journal Al-Aḥrār; source: Arnold Wright, H. A. Cartwright (eds.),Twentieth Century Impressions of Egypt. Its history, people, commerce, industries, and resources Londres, 1909, p. 391.
Très peu de traces subsistent aujourd’hui de la petite cité proprette et prospère créée pour les besoins du thermalisme, tant sa mutation est ancienne. C’est la Première Guerre mondiale qui lui aurait été fatale, par l’arrêt du tourisme germanique qui constituait sa première clientèle (Images, 18 mai 1930, p. 4). Elle renaît avec l’industrialisation nassérienne, qui installe à ses portes des usines de fer, d’acier, de textile et de ciment. Helwan se transforme en banlieue ouvrière, surpeuplée, irrespirable. La fermeture définitive en 2021 d’une partie de ce complexe industriel signe possiblement le début d’une autre vie encore pour la fondation khédiviale. Ainsi en va-t-il des cycles urbains : les renouvellements sont fréquents, les futurs imprévisibles.
Quelques références :
‘Abd al-Munsif Salim Najm, Ḥilwān madīnat al-quṣūr wa al-sarāyāt, darāsa athariyya wa-thaqāfiyya li-‘umrān al-madina wa-athariha al-baqiyya wa-l-mundathira, Le Caire : Zahra al-Sharq, 2006
Elke Pflugradt-Abdel Aziz, « La cité thermale d’Helwan en Egypte et son fondateur, Wilhelm Reil-Bey », Revue du monde musulman et de la Méditerranée, n°73-74, 1994. Figures de l’orientalisme en architecture, sous la direction de C. Bruant, S. Leprun et M. Volait . p 259-279. DOI : https://doi.org/10.3406/remmm.1994.1681
Arnold Wright, H. A. Cartwright (eds.),Twentieth Century Impressions of Egypt. Its history, people, commerce, industries, and resources Londres, 1909.
(M.V.)
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