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Dévastations sismiques et reconstruction de mosquées au XIXe siècle / الزلازل ومساجد القاهرة في القرن التاسع عشر

Habitants et spécialistes du Caire se souviennent que le 12 octobre 1992 la ville fut ébranlée par une secousse tellurique de magnitude moyenne, qui dura à peine quelques secondes mais causa des dégâts considérables. Il y eut plus de 500 morts et des milliers de blessés ; sur le plan matériel, le désastre laissa 350 immeubles entièrement effondrés, et des milliers d’autres très sérieusement endommagés, au rang desquels 140 monuments historiques (El-Sayed et al., 1998).

On sait moins que l’Égypte a été terre de séismes depuis la plus haute antiquité. La pointe du Delta et ses environs en furent souvent l’épicentre : durant le seul XIXe siècle, le Caire trembla 17 fois (Badawy, 1999). L’épisode le plus dévastateur se produisit le 15 cha’ban 1263 H. (29 juillet 1847). D’après Al-Waqa’i‘ al-Misriyya (n° 78 du 4 Ramadan 1263), la secousse dura environ 2 minutes – une éternité pour semblable évènement. Elle ôta peu de vies (une femme, un enfant et un cheval), mais détruisit en revanche tout ou partie de 111 bâtiments, selon l’inventaire détaillé dressé par la « Zabitkhana », le service de police également connu sous la dénomination arabe de Zaptieh dans les sources européennes. Plusieurs sanctuaires y perdirent leur minaret, ou son étage supérieur.

C’est à la mosquée al-Mu’ayyad Chaykh, terminée en 1420, que les dégâts paraissent avoir été les plus notables. Huit de ses arcades collapsent. D’après l’inscription figurant toujours sur le mur de la qibla, la mosquée (et notamment les galeries entourant sa cour), avait été très largement reconstruite moins de dix ans plus tôt, en 1255 H. (1839), par un certain sieur Ibrahim fils du sieur Ali, desservant de la takiyya voisine de Kulshani qui abritait des membres de la confrérie Naqshbandi-Khalwati. Le personnage est parfois confondu avec le fils de Mehmed Ali, mais Doris Behrens-Abouseif a fait valoir de longue date que cette attribution était erronée (Behrens-Abouseif, 1988, p. 50, note 25). Faut-il également incriminer la qualité des travaux alors conduits ?

Fig. 1. Vue intérieure de la mosquée al-Mu’ayyad aant 1877, PF-432/12 et 432/13, Lockett Papers, The Louis Round Wilson Special Collections Library. University of North Carolina at Chapel Hill., https://finding-aids.lib.unc.edu/00432/#imagefolder_13#1

Le sanctuaire continua à se détériorer. Le savant Mehren en parle comme d’une ruine en 1870 (Tableau, p. 208). Des travaux y auraient été menés entre 1870 et 1874 par l’administration des waqfs sur les ordres du khédive Isma’il, d’après une note du Comité de conservation des monuments de l’art arabe (CCMAA, 1890, p. 73)). On n’en trouve pas mention dans Al-Waqa’i‘ al-Misriyya, non plus que dans les Khitat  de Ali Pacha Mubarak (V, 130). On sait seulement qu’une surveillance des « travaux de reconstruction des mosquées al-Muayyid et Qussun » fut confiée à un certain Georges Gruber entre 1872 et 1879 sur ordre de Son Altesse Husayn pacha (fils d’Isma’il) et d’Ali Mubarak, alors en charge des travaux publics (DWQ, Fonds ‘Abdine, carton 163, lettre de Georges Gruber à Riaz Pacha, 2 octobre 1879). On ignore en quoi consistèrent précisément ces reconstructions.  Celle de Qusun fut certainement radicale puisqu’il ne subsiste quasiment plus rien du bâtiment initial aujourd’hui. Celle d’al-Mu’ayyad Chaykh fut vertement critiquée en 1881 pour avoir maltraité les boiseries et plafonds anciens du sanctuaire (Rhoné, Coup d’œil, p. 8). Des photographies rapportées d’Égypte en 1877 montrent des lieux toujours jonchés de gravats (Fig.1 et 2). Une vue publiée par Beniamino Facchinelli en 1887 (http://facchinelli.huma-num.fr/items/show/44) dépeint une identique désolation. Une nouvelle réfection de la mosquée fut engagée après 1887 par le Comité de conservation des monuments de l’art arabe.

Fig. 2. Vue intérieure de la mosquée al-Mu’ayyad aant 1877, PF-432/12 et 432/13, Lockett Papers, The Louis Round Wilson Special Collections Library. University of North Carolina at Chapel Hill., https://finding-aids.lib.unc.edu/00432/#imagefolder_12#1 

Les successives mues de la mosquée al-Mu’ayyad Chaykh au cours du seul XIXe siècle pointent l‘ampleur des transformations modernes que purent connaitre des constructions historiques qu’on croit généralement tout droit sorties, intactes, du temps de leur édification. Elles montrent la diversité des protagonistes impliqués, du pieux Ibrahim au controversé Georges Gruber. Le circuit de la décision, la nature des opérations conduites, leurs modalités de financement, demeurent en revanche inconnus, tout comme les éventuelles disruptions introduites dans la pratique du culte et l’exercice du savoir. Ce faisant, un pan entier de l’histoire matérielle, religieuse et sociale du Caire khédivial continue à nous échapper totalement.

Badawy, Ahmed, « Historical Seismicity of Egypt », Acta Geodaetica et Geophysica Hungarica 34, no. 1- 2 (1999) : 119 -135.

Barois, Julien, et Pierre Grand, Sadek Moustapha, Max Herz, « Examen de la mosquée el Mouayyed (plan Grand bey n° 190) », Procès-verbaux du Comité de conservation des monuments de l’art arabe, Fascicule 7, exercice 1890, 1890. p. 69-77. https://www.persee.fr/doc/ccmaa_1110-6824_1890_num_1890_7_4704?pageId=T1_74

Behrens-Abouseif, Doris, “The Takiyyat Ibrahim Al-Kulshani in Cairo,” Muqarnas 5 (1988): 43–60. https://doi.org/10.2307/1523109

El-Sayed, Attia, Ronald Arvidsson & Ota Kulhánek, « The 1992 Cairo earthquake: A case study of a small destructive event », Journal of Seismology 2 (1998) : 293–302.

Mehren, Auguste Ferdinand, « Tableau général des monuments religieux du Caire » [9-21 juin 1870], Mélanges asiatiques tirés du « Bulletin » de l’Académie impériale des sciences de St-Pétersbourg, 1871, p. 296-569

Rhoné, Arthur, Coup d’œil sur l’état du Caire ancien et moderne, Paris : Imprimerie A. Quantin, 1882 (2e édition revue et augmentée, après une première édition parue dans la Gazette des beaux-arts, novembre 1881)

(M.V.)

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