Immigration et Football au Sénégal selon Fatou Diome

By | March 20, 2018

Fatou Diome a publié Le Ventre de l’Atlantique en 2003. Ce roman retrace la vie d’une jeune femme Sénégalaise, Salie, émigrée en France, et de son jeune frère, Madické, qui vit encore à Ndiodior, leur île natale. Celui-ci espère rejoindre sa sœur en devenant footballeur professionnel en France. Le roman se veut autobiographique puisque la vie de Salie s’apparente à celle de l’auteur. Au travers de cette histoire centrée sur la passion pour le foot de Madické, Fatou Diome discute de nombreux thèmes qui affectent ses compatriotes, notamment l’immigration, le racisme, le sexisme et les relations sociales entre Sénégalais en France comme au Sénégal.

Le thème dominant dans Le Ventre de L’Atlantique est celui de l’immigration. Par leur passé colonial commun, le Sénégal et la France sont restés très proches et un certain attachement à la France caractérise les Sénégalais depuis l’indépendance de leur pays. Ainsi, dans le village de Madické, sur l’ile de Ndiodior, et au Sénégal en général, nombreuses sont les marques de l’influence française : le notable du village a fait fortune en France, « l’instituteur […] a fait une partie de ses études en France. Tous ceux qui occupent des postes importants au pays ont étudié en France. […] Les quelques joueurs sénégalais riches et célèbres jouent en France » (p.53). Fatou Diome définit ce phénomène par l’expression critique de « colonisation mentale » (p.53). Elle dépeint aussi une société qui idéalise la France et rêve à l’idée d’y immigrer. Pour les jeunes de Ndiodior, la seule façon envisageable d’atteindre ce paradis est de devenir un bon joueur de football pour être recruter par un agent et rejoindre un club de football français. Malheureusement, ces jeunes sont aveuglés par leur rêve et incapables de prendre en mesure la face cachée de l’immigration. Une face cachée que Salie, tout comme l’auteur, le notable du village, appelé l’homme de Barbès, ou encore Moussa, l’ancien footballeur déchu, ont vécu à leur arrivée en France. La réalité à laquelle les Sénégalais doivent faire face mêle des conditions de vie très difficiles avec peu d’opportunités financières à un statut social inférieur à celui du citoyen français et au racisme. Malgré cette réalité partagée par de nombreux Sénégalais, pratiquement personne ne communique sur ces aspects négatifs de l’immigration. L’homme de Barbès a connu une certaine forme de réussite en France puisqu’il s’y est enrichi suffisamment pour pouvoir construire une belle demeure à Ndiodior. Cependant, sa vie en métropole a été misérable et il ne relate que les aspects grandioses de la France, préférant passer sous silence sa vraie vie et la misère qu’il a dû endurer. Il raconte la Tour Eiffel et l’obélisque de Louxor, il décrit les magasins de luxe sur les Champs-Elysées même si au final il n’a jamais pu y entrer. Car lorsqu’un immigré rentre au Sénégal, le village entier a nourri des attentes démesurées qui ne sont pas toujours comblées. Ce fut le cas pour Moussa, un très bon joueur de football à Ndiodior. Une fois parti s’entrainer dans un centre de formation français, il n’a jamais réussi à obtenir de contrat pour jouer professionnellement. Afin de rembourser les frais de son agent, il a dû travaillé dans des conditions proches de l’esclavage sur un bateau de pêche. Finalement, arrêté par la police, pour être en situation irrégulière en France, il se fait renvoyer au Sénégal les mains vides. Même si son destin est à l’opposé de celui de l’homme de Barbès, lui non plus n’a jamais révélé les conditions matérielles ni le racisme qu’il a connus, préférant se taire face à l’humiliation de ne pas avoir pu soutenir sa famille malgré son séjour en France. Il finit par se suicider en laissant l’Atlantique l’engouffrer.

Confrontée elle-même a la dure réalité de l’exil, Fatou Diome dénonce certes les conditions de vie dans les pays dits d’accueil mais aussi, de façon plus inhabituelle, la responsabilité de ceux qui sont restés au pays. En effet, leur idéalisation trompeuse d’un eldorado rêvé, leurs attentes irréalistes que l’émigré a peur de décevoir sont des poids sociaux supplémentaires pour celui-ci. Certains s’en sortent mieux que d’autres. L’écriture poétique de Fatou Diome nous laisse à penser que les destins tragiques se terminent dans le ventre de l’Atlantique, là où repose Moussa, avec les pêcheurs de Ndiodior avalés par l’océan. Surtout, cette même écriture permet au personnage de Salie, et aussi a Fatou Diome, de sublimer sa propre histoire pour mieux l’accepter.

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