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La maison du waqf de Sanǧar al-Ǧawlī – منزل الوقف سنجر الجولي

Les archives de K. A. C. Creswell, déposées à la Bibliothèque de l’Université américaine du Caire, conservent deux clichés relatifs à une maison relevant du waqf de Sanǧar al-Ǧawlī (1304). Ils ont l’intérêt de montrer un immeuble ordinaire affecté à l’entretien d’une fondation, alors que ce type de bien immobilier a moins souvent retenu l’attention des peintres ou des photographes que les monuments dont ils assuraient la pérennité.

 

Fig n°1: Maison wakf Sangar el-Gaouli à Kal’at el Kabch (vue d’ensemble)

 

Sur la première photographie (fig. 1), une plaque de la voirie permet de localiser l’ensemble. Située à une cinquantaine de mètres de la porte sud de la mosquée de Sanǧar al-Ǧawlī, la ‘Aṭfat Nūḥ est une ruelle en impasse qui s’ouvre sur la rue Qal‘at al-Kabš. Elle n’est pas représentée sur le plan de la Description de l’Égypte, mais figure sur celui de Grand bey et a donc été créée entre 1800 et 1874. L’immeuble qui fait l’angle des deux rues est une petite maison d’un bâti très ordinaire ; mais elle s’insère entre deux immeubles de meilleure facture dont l’étage en encorbellement est soutenu par une poutre portée par des corbeaux de pierre en forme de cylindre.

Fig n°2 : Maison wakf Sangar el-Gaouli à Kal’at el Kabch (vue rapprochée)

La seconde photographie (fig. 2) donne une vue rapprochée de l’immeuble de droite et montre que la poutre est ornée d’une inscription en beau naṣḫī, illisible en l’état, mais qui fonde l’attribution du bâtiment au waqf de Sanǧar. Dans un rapport daté de 1892, adressé au Comité de conservation des monuments de l’art arabe, Pierre Grand écrit en effet qu’on « voit encore sur les portes [sic : les poutres] qui supportent les encorbellements de deux maisons modernes construites dans le voisinage de la porte sud de la mosquée, une longue inscription sculptée provenant de la maison Sangar qui a été démolie et en partie reconstruite à l’époque turque ». (Grand, 1903, p. 50). Ce sont ces maisons qui apparaissent sur les clichés ; mais si elles sont bien « modernes » dans la configuration que Pierre Grand observe et qu’illustrent les deux clichés du fonds Creswell, elles ne sont, en réalité, que l’ultime avatar de la maison que Sanǧar al-Ǧawlī avait donnée à sa fondation.

 

Fig. n° 3. Extrait du cadastre au 1/500e, Feuille 118, 1941.

La façade que montre la photo no1 correspond, sur le plan cadastral (fig. 3), à trois immeubles distincts : au premier plan, la maison du no 1 rue ‘Aṭfat Nūḥ qui fait angle avec la rue Qal‘at al-Kabš ; au-delà, la façade commune des parcelles nos 19 (deux premières fenêtres) et 15 (troisième fenêtre) de la rue Qal‘at al-Kabš. Le no 17 correspond à un étroit passage commun à ces deux parcelles (« m.m », mamarr muštarak sur le plan cadastral), qui n’apparaît plus en façade que par une ancienne porte, bouchée au moment de la prise de vue. Le ressaut du mur pignon du no 13, qui avance un peu sur la rue, ferme la perspective. La photo n°2 montre que la poutre supportant l’encorbellement de l’étage est commune aux trois parcelles 19, 17 et 15. L’état consigné par le plan cadastral est donc le produit de la division de ce qui était à l’origine un seul immeuble. Le rez-de-chaussée de la maison à la poutre est, pour l’essentiel, en pierres de taille. Seule la travée dans laquelle se situe le magasin est en moellons. Elle est, du reste, en partie chaînée à la maison voisine (no 1), construite en moellons et briques, et montre des reprises d’appareil. La poutre, enfin, est coupée à son extrémité ouest au-dessus du magasin. La suite ou une autre partie de la poutre apparaît sur la maison située de l’autre côté de la rue ‘Aṭfat Nūḥ (no 2) et s’appuie sur un corbeau identique à ceux de la maison des 19-15 Qal‘at al-Kabš. L’angle de cette autre maison, construite en pierres de taille, montre des traces d’arrachement qui confirment qu’une partie du bâtiment originel a été détruite et remplacée par la ruelle et la maison de l’angle dont l’ensemble est d’un module identique à celui des travées portées par la poutre. Les deux « maisons modernes » évoquées par Pierre Grand n’en étaient donc à l’origine qu’une seule et la légende des clichés se rapporte en réalité à celle qu’elles formaient ensemble.

 

Dans les années 1880, au moment où ‘Alī Mubārak compile ses Ḫiṭaṭ, la fondation mamelouke Sanǧar al-Ǧawlī est administrée par le Dīwān al-Awqāf, qu’il dirige, et elle perçoit toujours les loyers de biens qui lui ont été donnés près de sept siècles plus tôt : un enclos (ḥawš), une maison (manzil), un café et un puits lui apportent encore une rente mensuelle de 120 qirš. (Ḫiṭaṭ , IV, p. 74). Le manzil est très certainement cette maison voisine de la porte sud de la mosquée, dont une travée, peut-être celle de l’entrée, a été détruite et dont les étages ont été reconstruits avec des matériaux provenant de la ruine de la maison médiévale. Les poutres inscrites étaient généralement situées à l’intérieur, notamment sous les plafonds des grandes salles (qā‘a), et c’est un remploi qui a valu à ces pièces magnifiques d’être mises en façade. On voulait sans doute, par elles, lier et consolider ce qui restait du rez-de-chaussée après la démolition de toutes les parties supérieures. La ruelle étant le produit de la démolition, le remploi des poutres et la reconstruction des étages sont à dater entre 1800 et 1874. Si l’on n’a pas de trace matérielle du café, on sait par une inscription à la craie sur un panneau de bois placé au-dessus du magasin que l’occupant au moment de la prise de vue était un certain ‘Alī Qahwaǧī, cafetier de son état. Quant à « l’enclos » il pourrait désigner l’ensemble des parcelles situées en arrière des immeubles sur rue et conserver le souvenir de la cour de la maison originelle, désormais lotie et encombrée d’appentis et de masures. Le croisement de la carte et de l’image permet donc de restituer l’emprise de la maison médiévale et de documenter le destin, dans la longue durée, de l’un des biens de la fondation.

 

Crédits photographiques

Maison wakf Sangar el-Gaouli à Kal’at el Kabch, Creswell Papers and Photograph Collection of Islamic Architecture; Rare Books and Special Collections Library; American University in Cairo, no. A25 Pl.78A A/2.

https://digitalcollections.aucegypt.edu/digital/collection/p15795coll14/id/883/rec/1 (photo d’ensemble) et no. A25 Pl.78 B/2 (détail de la maison à la poutre)

https://digitalcollections.aucegypt.edu/digital/collection/p15795coll14/id/1656/rec/2

Bibliographie

Grand Pierre, Herz Max. « Mosquée Sangar el-Gaouli ». In: Comité de Conservation des Monuments de l’Art Arabe. Fascicule 9, exercice 1892, 1903. p. 47-51. DOI : https://doi.org/10.3406/ccmaa.1903.5738, www.persee.fr/doc/ccmaa_1110-6824_1903_num_1892_9_5738

Mubārak, ‘Alī Pacha, al-Ḫiṭaṭ al-Tawfīqiyya al-ǧadīda, le Caire, Impr. Nat., 1888-1893, 20 tomes en 4 volumes, IV, p. 74 (Ǧāmi‘ al-Ǧāwlī).

Cartographie

Survey of Egypt, Town Series 1/500, Block no. 118, 1941. Cartomundi, http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=109889

 

(G.A.)

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