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Manyal al-Rawda – منيل الروضة

Manyal al-Rawda, un conservatoire de l’histoire du Caire khédivial

 

Fig. 1, ‘Vue du petit bras du Nil vers 1900’, source: Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-182.

Cette rare vue du petit bras du Nil à la hauteur de l’île de Rawda (fig. 1) montre, à droite de l’image, les modestes installations qu’un aristocrate français, le duc Louis-Joseph d’Aumont, également marquis de Villequier (1809-1888), y avait fait construire lorsqu’il décida de s’établir au Caire après avoir acquis du prince Isma’il le droit d’user de la plus belle partie des plantations que le futur khédive avait héritées de son père Ibrahim pacha. Conclue en 1860, la cession portait sur un domaine de 20 feddans grevé d’un impôt annuel dû au gouvernement égyptien et d’une redevance pour droit de jouissance emphytéotique [hikr] au waqf du Sultan Mourad établi au profit des villes de la Mecque et de Médine (CADN, 354PO/2). Aidé du jeune homme de confiance avec lequel il vivait, Aristide Gavillot (1837-1911), le duc d’Aumont fit prospérer les plantes exotiques qu’y avait acclimatées Ibrahim pacha, dont le plus ancien banyan (Ficus bengalensis) du Caire, un palmier royal rapporté de La Havane en 1830, et des Kakis du Japon (Delchevalerie, 1899, p. 33-44).

 

Le domaine passa à Gavillot au décès du duc, dernier du nom ne laissant ni ascendant ni descendant, au terme d’une bataille judiciaire dont la presse française a conservé l’écho (par exemple, Le Petit courrier du 2 juillet 1892). Les revenus procurés par les cultures exotiques de Manyal al-Rawda, additionnés aux biens français d’Aumont et de Villequier, servirent dès lors à financer la croisade antibritannique dans laquelle s’était lancée Gavillot, en tant que représentant élu, à partir de 1874, par la portion des Français du Caire les plus attachés aux Capitulations et les plus hostiles à l’influence anglaise croissante dans le pays, et siégeant dans les instances du Consulat (Saul,1997, Chapitre XIV).

 

Fig. 2, ‘Noms des artisans ayant participé à la construction des bâtiments de Manyal al-Rawda au temps du prince Mehmed Ali Tevfik’, source: cliché de l’auteur, 2016.

 

En 1902, le domaine changea à nouveau de mains. C’est le prince Mehmed Ali Tevfik (1875-1955) qui s’en porta cette fois acquéreur. Tout en conservant la dimension botanique, il donna à la propriété un nouveau visage, celui du renouveau des arts et des artisanats islamiques. Assisté dans son entreprise par l’antiquaire Kevork Ispénian, le céramiste David Ohanessian, le calligraphe ottoman Ahmad Kamil effendi, plusieurs artisans égyptiens aux noms perpétués dans la pierre (fig. 2), et faisant usage des céramiques produites par l’usine de la féministe Hoda Cha’rawi, le prince fit ériger une mosquée dans un style hispano-mauresque, recréa des intérieurs néo-mamlouks et néo-ottomans, et réinstalla des « period rooms » rapportées de Syrie, de Perse et du Maroc, agrémentées de 1000 objets de curiosités, plus ou moins anciens. Le prince fit également remonter un petit salon Second Empire provenant du Palais de Giza, ainsi que la collection d’oiseaux empaillés ayant appartenu à son neveu le roi Faruk, présentée sous forme de dioramas (Mahmud Mohammad Tawfiq et al., 1979).

En reprenant et développant Manyal al-Rawda, Mehmed Ali Tevfik se faisait le continuateur, voire le restaurateur, de l’œuvre dynastique. Ce faisant il livrait à la postérité une sorte de raccourci de l’histoire du Caire khédivial, entre innovation horticole, exploitation foncière, intérêts capitulaires, fait minoritaire, invention de la tradition et appropriation culturelle.

 

CADN = Centre des archives diplomatiques de Nantes, 354PO/2, carton 5, Succession d’Aumont et de Villequier, acte notarié en date du 20 juin 1860.

Gustave Delchevalerie, Les promenades et les jardins du Caire, avec un catalogue général détaillé et les noms scientifiques français et égyptien des plantes, arbres et arbustes utiles et d’ornement cultivés dans les champs et les jardins et notamment dans les anciens jardins vice-royaux et khédiviaux de l’Egypte sous la dynastie de Méhémet Aly jusqu’au XIXe siècle de J.-C (Chaumes : à compte d’auteur, 1899, p. 33-44).

Le Petit courrier du 2 juillet 1892

Mahmud Mohammad Tawfiq et al., Dalīl mathaf Qasr al-Manyal [A guide to the Manyal Palace](Cairo : Public Printing Press, 1979.

Samir Saul, La France et l’Égypte de 1882 à 1914 : Intérêts économiques et implications politiques [en ligne]. Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 1997, Chapitre XIV

(M.V.)

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