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Le Caire moderne au prisme de la photographie amateur – القاهرة الحديثة من خلال التصوير الهاوي

L’essor exceptionnel de la photographie commerciale au XIXe siècle a contribué à installer de nombreux poncifs visuels en matière d’iconographie urbaine : les réalités bâties sont réduites à une poignée de vues et d’édifices iconiques, tandis que la vie sociale et économique est schématisée, sinon caricaturée, par quelques types et métiers pittoresques. Le Caire n’échappe pas à la règle. La capitale égyptienne a été, avec Paris, Rome et Venise, l’un des terrains de chasse favori des studios commerciaux aux temps pionniers de la photographie. L’iconographie qui en résulte est fragmentaire et répétitive. Les mêmes lieux, les mêmes scènes sont reproduites à l’infini, elles couvrent pour l’essentiel les quartiers historiques et le reste de la ville demeure hors champ.

Source: “Enterrement de Khayri bey, grand chambellan du sultan, 1914 ou 1915” (Musée Nicéphore Niépce)

Une voie d’accès à ce que le commerce photographique délaisse est offerte par la photographie amateur. Non destinée à séduire une clientèle potentielle, elle s’avère souvent plus inclusive dans les sujets couverts, plus originale dans ses points de vue. Le fonds Georges Blanchard que vient de mettre en accès ouvert le musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône en offre un bon exemple. Il est constitué de 600 plaques de verre due à un juriste de formation, Georges Blanchard (1873-1948), qui effectua l’intégralité de sa carrière en Égypte, en tant que professeur à l’École française de droit du Caire, où il professa de 1900 à 1935 un cours d’économie politique, enrichi par ses propres travaux sur la situation égyptienne (propriété, fiscalité, finance, droit du travail). Ses loisirs étaient consacrés à la photographie. Quelque 400 clichés, pris entre 1901 et 1916, concernent Le Caire. Les sujets usuels (les grands hôtels du Caire, la Cité des morts, les mosquées célèbres, les venelles de la vieille ville, le Khan al-Khalili, les petits métiers, le départ du Tapis sacré), ou plus circonstanciels (la présence des armées alliées en 1915) ne sont pas absents, mais beaucoup d’autres sont inédits. L’enterrement en mai 1915 de Ahmad Khayri bey, premier grand chambellan à la nouvelle cour sultanienne, est couvert par plusieurs photographies, et ce n’est pas le seul, tant les rituels de convoi funéraire, avec les cortèges d’aveugles précédant les cercueils, ou les buffles les suivant, ont intéressé Blanchard.

Source: “La fontaine Nubar faisant face à la mosquée Sayyida Zainab, 1909” (Musée Nicéphore Niépce)

Il est aussi le seul à avoir photographié la fontaine Nubar faisant face à la mosquée de Sayyida Zaynab, sujet d’un précédent billet, ou encore à avoir accordé attention aux tombeaux jalonnant la ville moderne, également évoqués dans ce blog. On lui doit ainsi l’unique vue identifiée à ce jour des mausolées jumeaux du Sheikh Yusuf et de Muhammad Bey Lazughli donnant sur l’avenue Qasr al-‘Ayni.

Source: “Tombeaux rue Qasr al-Aini, 1907” (Musée Nicéphore Niépce)

Un peu plus au sud, Blanchard a encore photographié une autre rareté : le grand portail du domaine khédivial de Qasr al-‘Ali avant le lotissement, à son emplacement, du quartier de Garden City. On sait grâce aux notes topographiques rassemblées par Max Karkégi (et un article du Journal d’Égypte en date du 29 mars 1959) que la démolition du portail et du palais ne signa pas leur disparition. Une partie fut remontée dans la cité des morts à l’initiative d’un certain Ali El Wakad, selon une pratique courante au Caire, et déjà évoquée dans le billet consacré au palais Abdin. Le Caire pourrait bien être la ville palimpseste par excellence.

Source: “Le grand portail du palais Qasr al-‘Ali rue Qasr al-Aini, avant son démontage, 1906” (Musée Nicéphore Niépce)

Références:

Thomas Cazentre, « Photographes du Caire dans le dernier tiers du xixe siècle : les ateliers commerciaux » In : Le Caire dessiné et photographié au XIXe siècle, Paris : Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2013 ; Inventaire manuscrit des photographies prises par Georges Blanchard en Egypte (Musée Nicéphore Niépce) ; Journal d’Égypte, 29 mars 1959, cité par Max Karkégi dans ses notes de topographie historique et anecdotique (Bibliothèque nationale de France); al-Ahram, 23 decembre 1914, p. 5.; 21 April 1915, p.4.

Source des images: Fonds Georges Blanchard (inv. 96.33): http://www.open-museeniepce.com/recherche-photos?resetSearch=1&addMotcle=georges%20blanchard

(M.V.)

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