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Les tombeaux de saints: jalons d’un lent reflux – ضرائح/مقامات الأولياء

 

Fig. 1.Richard Mosseri Tombeau du cheikh al-Maghrabi vue prise le 25 Avril 1952 (Glass plate 6 x 9 cm) (Bnf)

Le centre-ville moderne du Caire est plus connu pour ses cinémas, ses restaurants, ses magasins de nouveautés, et jadis ses bars et ses dancings, que par ses tombeaux de saints. Pourtant ses rues ont longtemps gardé la trace des petits mausolées édifiés du temps où ses terrains étaient mis en culture. La rue ʻAdlī s’appelait autrefois al-Maghrabī du nom d’un saint homme, al-Ustadh Muḥammad al-Maghrabī, qui y avait son mausolée. La mémoire de ce personnage s’est perdue, mais il devait être important car le ministère des Travaux publics ordonna en 1902 la reconstruction de sa tombe et l’édification de locaux pour recevoir ses visiteurs (fig. 1) Son mawlid  était encore très suivi au début des années 1930, mais fut interrompu par la suite (MacPherson, 238). Le maqām  céda la place à un immeuble résidentiel en 1953 ; un emplacement y fut réservé au rez-de-chaussée pour réinstaller le cénotaphe et une petite salle de prière – c’est aujourd’hui la mosquée al-Maghrabī.

Le déplacement des tombeaux de saints déclenchait à l’occasion une ferveur accrue. La revue Images du 2 mars 1930 (fig. 2) rapporte que le transfert du tombeau de Sayyid al-Madbūlī, initialement situé à Bāb al-Ḥadīd, renforça la croyance populaire en ses miracles. On lui prêta un retour quotidien sur les lieux par le biais d’un feu follet visible dans le clocher d’une église grecque voisine – jusqu’à la découverte qu’il s’agissait en fait d’une facétie d’un groupe d’habitants du voisinage, amateurs de stupéfiants !

Fig2. Coupure de presse concernant le déplacement du tombeau de Sīdī Madbūlī (Album sur l’architecture et l’urbanisme du Caire, 1960) (Bnf)

Implanté à l’origine dans les vergers d’un vaste domaine jouxtant les jardins de l’Azbakiyya, à proximité d’un puits (fig. 3) comme c’était l’usage dans la campagne égyptienne (Mayeur-Jaouen, 2000), le tombeau de Sīdī Miṣbāḥ survécut un temps au lotissement de la propriété vers 1900. Une petite place fut aménagée entre deux immeubles pour y donner accès depuis la rue ʿImād al-Dīn. Celle-ci est aujourd’hui entièrement accaparée par le cinéma Lido, et personne ne sait plus dans les alentours qui est Sīdī Miṣbāh ni ce qu’il est advenu de son tombeau.

 

Fig 3: Plan, détail, Mestyan-Volait, « Affairisme dynastique ».

Avant de devenir le quartier de Garden-City, le domaine cultivé de Qasr al-‘Alī, résidence de la mère du khédive Ismail, comptait également des tombeaux, dont celui du chaykh Yūsuf accolé à une zāwiya. La rue du chaykh Rīhān (qui doit également son nom à une tombe de saint), conserve encore quelques tombeaux à mesure que l’on approche du palais ‘Abdīn, et donc des quartiers historiques et populaires du Caire. Le mausolée d’un descendant du Prophète, Sîdî ‘Abd Allâh al-Mahd al-Hasanî ibn sîdî Hasan b. ‘Alî, fils de Fāṭima, fille de Muḥammad, mort en 145 H. (aimablement signalé par Catherine Mayeur-Jaouen) avait une fête-anniversaire très suivie jusqu’en 1933, date à laquelle une violente répression en interrompit les festivités, qui ne cessèrent dès lors de décliner (MacPherson, 137-138).

Une forme de religiosité populaire, héritée de la culture  rurale, imprégnée de dévotion au Prophète et à ses Gens, et intimement liée à l’histoire du soufisme en Égypte (Mayeur-Jaouen, 2005), a tendu ainsi à refluer lentement du centre-ville du Caire, ou du moins de sa partie la plus moderne, la plus urbanisée et la plus embourgeoisée. On peut lire dans le paysage urbain qui en a résulté tant le recul d’une précédente ruralité, que la contestation du soufisme (Schielke, 2012), la sur-urbanisation de l’espace et l’éviction croissante de ses classes les plus populaires. En un mot, la disparition d’un univers jadis plus inclusif de la modernité égyptienne.

Références : Mayeur-Jaouen, Catherine, « Tombeau, mosquée et zâwiya : la polarité des lieux saints musulmans », in  A. Vauchez, ed., Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires, Rome : EFR, 2000, 113-147 ; Mayeur-Jaouen, Catherine, Pèlerinages d’Égypte, Histoire de la piété copte et musulmane, xve-xxe siècles, Paris : Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005 ; Adam Mestyan et Mercedes Volait, « Affairisme dynastique et dandysme au Caire vers 1900 », Annales islamologiques, 50 | 2016, 55-106 ; « Drames et comédies de la vie », Images 2 mars 1930, 10 ;  McPherson, J. W., The Moulids of Egypt (Cairo, 1941), 115, 137, 238-240 ; Schielke, Samuli. The Perils of Joy: Contesting Mulid Festivals in Contemporary Egypt. New York: Syracuse University Press, 2012.

(M.V.)

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