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Villa Delort de Gléon (Rue ‘Abd al-Khaliq Tharwat) / (قصر ديلور ده جلايون (شارع عبد الخالق ثروت

Cette image découpée dans le magazine al-Musawwar (n° 259, 27 septembre 1929) représente une des toutes premières habitations édifiées dans le nouveau quartier du Caire initialement nommé Ismâ’îliyya en hommage à son fondateur, le khédive Ismâ’îl, et aujourd’hui connu comme son centre-ville, wast al-balad. Elle avait été bâtie en 1872 pour le compte de l’ingénieur des mines Alphonse Delort de Gléon (1843-1899) sur les plans de l’architecte Ambroise Baudry (1838-1906) (une partie des dessins se trouve aujourd’hui au Musée d’Orsay à Paris).

Illustration: Émile Béchard, Album photographique comprenant soixante et une vues exécutées d’après les constructions élevées au nouveau Caire sous le règne de S. A. le Khédive Ismaïl-Pacha, Le Caire/Paris : A. Lenègre, 1874, f. 30

Présent en Égypte depuis 1868, Delort de Gléon avait été chargé, à titre de directeur de la Compagnie des Eaux du Caire, de construire les rues de l’Ismâ’îliyya, puis d’en administrer la concession des terrains à bâtir. Les parcelles étaient cédées gratuitement sous conditions de construire dans un délai de 18 mois une habitation d’au moins 50.000 F. Delort obtient sa propre concession en 1871. La maison qu’il fait construire est pourvue d’une entrée majestueuse sous forme de portique à trois arcs, d’inspiration mamelouke, ainsi qu’on peut le découvrir dans l’album consacré par le photographe Émile Béchard (1844-1891) au nouveau Caire en 1874.

Détail de la carte de Grand Bey, 1874.

Les changements de propriété, d’adresse (Villa Delort de Gléon sur la rue n° 20 ;  3 rue al-Manâkh, 11 rue Chawârby, 30 puis 23 rue ‘Abd al-Khâliq Tharwat) et d’affectation (résidence privée, atelier pour artistes, locaux diplomatiques, siège de journal, entrepôt de marchandises) de cette habitation sont révélatrices des mutations rapides que le foncier et l’immobilier peuvent connaître au Caire ; elles illustrent aussi la façon dont la ville se construit, littéralement ici, sur elle-même. Elles mettent en lumière enfin un aspect méconnu du Caire : les mondes de l’art que la capitale égyptienne a accueillis tout au long de son histoire récente.

Des fragments authentiques, tels que des moucharabiehs, sont intégrés aux façades. La pièce maîtresse de la maison est un grand salon à iwân, éclairé zénithalement par une coupole à tambour ajouré ; il était richement décoré de vitraux en plâtre et verre coloré, de lambris de mosaïques de marbre, de portes marquetées d’ivoire et de céramiques d’Iznik. C’est l’œuvre d’un grand amateur d’art islamique, auquel le Musée du Louvre doit sa section d’art islamique. Ce salon a inspiré au peintre finlandais Gunnar Berndtson (1854-1895) une saisissante toile baptisée Almée, an Egyptian dancer (1883), aujourd’hui conservée dans les collections nationales de Finlande. La scène captée, dont on n’a pas fini de découvrir toutes les ambiguïtés, établit un lien entre intérêt pour l’art islamique et goût pour le spectacle de danse. Elle témoigne en outre des facilités que Delort de Gléon offrait aux artistes de passage au Caire. Un vaste édifice situé dans la propriété leur était ouvert, ce qui valut à la villa Delort de Gléon d’être appelée en 1883 la « Villa Médicis du Caire », en référence à l’Académie installée à Rome par la France pour y accueillir ses artistes. Le peintre orientaliste Jean-Léon Gérôme (1824-1904) avait coutume de séjourner chaque hiver chez Delort de Gléon.

La suite de l’histoire de cette villa reste à écrire. En 1892 elle n’appartient plus à Delort ; le consulat d’Italie y est établi en 1896 et l’est toujours en 1910. Une rue est ouverte à travers la propriété entre 1897 et 1906, l’actuelle rue Chawarby.  Le titre de propriété de la villa est enregistré en 1908 au nom de Chawarbi pacha (ou El-Shawarby selon les sources). Durant les années 1930, le journal al-Siyasa, organe du parti des Libéraux-constitutionnels,  a ses bureaux dans la villa. Toujours propriété des Chawarbi, la maison sert aujourd’hui d’entrepôt à une société d’import-export, mais est à peine reconnaissable en raison des transformations successives de ses intérieurs et des constructions additionnelles érigées dans le jardin, lesquelles la rendent quasiment invisible depuis la rue.

Références : Émile Béchard, Album photographique comprenant soixante et une vues exécutées d’après les constructions élevées au nouveau Caire sous le règne de S. A. le Khédive Ismaïl-Pacha, Le Caire/Paris : A. Lenègre, 1874, f. 30-34 ; Le Moniteur égyptien, n° 84, 10 avril 1883 ; Al-Musawwar, 27 septembre 1929 ; M. L. Crosnier Leconte et M. Volait, L’Égypte d’un architecte : Ambroise Baudry (1838-1906), Paris : Somogy, 1998, p. 70-77, 92-94 ; M. Volait, Fous du Caire, excentriques, architectes et amateurs d’art en Égypte (1867-1914), Forcalquier: L’Archange Minotaure, 2009, p. 99-104; source de l’image : [Albums sur l’architecture et l’urbanisme du Caire], Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, 8-VZ-1532 (1), f. 22 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b105469463/f22.item.r=albums%20Kark%C3%A9gi (M.V.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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